Vu par


Guéhenno vu par ses élèves

Jacques Andréani, né à Paris le 22 novembre 1929 et mort à Pornic le 25 juillet 2015, était un diplomate français. Élève au lycée Buffon en seconde en 1943-1944 lors de la rétrogradation de Guéhenno :

« Ce qui m’a touché le plus, ce sont ses qualités humaines.  Il en fallait beaucoup pour se plier avec le sourire à la tâche ingrate de rabâchage à l’usage de morveux sans talent particulier où ce professeur de haut niveau avait été relégué par l’insolente vigilance d’Abel Bonnard et de ses collaborateurs (au double sens du mot). La dureté des temps n’altérait pas son extrême douceur, tout au contraire. »

Lettre adressée à Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 24 mars 1999.

 

René Billères, homme politique français, né le 29 août 1910 à Ger (Hautes-Pyrénées) et décédé le 2 octobre 2004 à Lourdes. Élève à la khâgne du lycée Lakanal de Sceaux en 1930.

« La classe commençait par une “explication de texte ” confiée à l’un de nous, envoyé en reconnaissance et dont le maître écoutait le rapport, silencieux et recueilli. Puis il montait en chaire, pour lire et commenter à mesure. Il s’imposait aussitôt. Sa voix à la fois chaude et claire, prenante, ouvrait sur le champ de la classe un espace nouveau plus subtil, sensible, réceptif. Il avait une capacité merveilleuse d’analyse et d’admiration. D’emblée il allait à l’essentiel, à ce qui se révélait toujours présent, actuel. Il ouvrait devant nous les trésors impérissables du génie : pensés, idées, sentiments, passions, indignations, ironies, aspirations, rêves. En vérité, il n’expliquait pas, il ne commentait pas, il s’identifiait au texte, le vivait intensément, le recréait avec l’auteur que sa faveur inspirée faisait entrer en personne dans la classe et dont il apparaissait comme le confident, le mandataire, le messager et presque l’égal. […] Guéhenno, en une seule année, a marqué toute ma vie. »

Lettre adressée à Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 19 février 1999.

 

Alain Bourdon, ancien secrétaire de l’École des Mines, vice-président de l’ANALIV. Élève à la khâgne du lycée Lakanal de Sceaux en 1929.

« La foi de Jean Guéhenno, celle qu’il savait si merveilleusement communiquer, c’est la foi qui soulève les montagnes, c’est celle qui me décrochait de ma pauvre condition de khâgneux qui croyait n’avoir à faire que des études littéraires. C’est celle qui veut que refuse de céder le roseau pensant. […] Comme Hugo, Jean Guéhenno fait des êtres et des choses les plus humbles, un reportage qui s’élève, comme de lui-même en grandiose.[…] Et, transformant les travaux et les jours, qui sont le tissu de l’histoire, ces grands écrivains, ces poètes, font du récit de nos vies un récit pathétique de nos destins, toujours à maîtriser. »

Témoignage du 24 septembre 1988, lors des Rencontres Jean Guéhenno à l’Espace III à Fougères.

 

Michel Brunet, peintre, décorateur, costumier et graveur. Travailla au Service des expositions de la Bibliothèque nationale de 1955 à 2000. Élève au lycée Buffon en 1943-1944.

Rencontré par Annie Guéhenno en 1987 lors d’une exposition : « Il m’a raconté que, quel que soit le sujet, Jean terminait chaque cours par un sonore : “ Et la liberté !” ».

Jean Paulhan-Jean Guéhenno, Correspondance 1926-1968, note p. 292, témoignage recueilli par Jean-Kely Paulhan.

 

Henri Coulet, né le 18 mars 1920 à Bamako, est un critique et essayiste français spécialiste du roman et du théâtre français des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Élève à la khâgne de Clermont-Ferrand en 1939-1940.

« Lors de ma soutenance de thèse, dans un amphi de la Sorbonne, Guéhenno qui avait appris la date et lieu de cette soutenance, est venu y assister : son état ne lui permettait pas de s’asseoir, et pendant toute la soutenance il est resté, debout, appuyé sur sa canne, sur le côté des travées. Combien de professeurs pousseraient-ils aussi loin une marque d’intérêt et d’amitié pour un ancien élève ? ».

Lettre adressée à Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 16 décembre 2009.

 

Jean Deprun, historien de la philosophie française, né en 1923, mort en 2006. Agrégé de philosophie en 1948. Élève à la khâgne de Louis-le-Grand en 1941-1942.

À la prise de fonction de Guéhenno, les khâgneux de Louis-le-Grand imaginaient un tribun poussant la porte. Jean Deprun : « Comme nous nous trompions ! Voici qu’entre doucement, presque timidement, l’auteur de Caliban parle […]. Après quelques mots quasi murmurés, voici que sa voix s’élève : Je suis ici, Messieurs, pour vous aider à devenir, non pas ce qu’on appelle aujourd’hui des “ jeunes hommes ”, mais des “ hommes ”. Ce n’étaient pas les disciples qui commandaient à Socrate, c’est Socrate qui commandait à ses disciples. »

Jean Deprun, Hommage à Jean Guéhenno, extrait de l’Annuaire des Anciens élèves de l’École normale supérieure, 1979.

 

Guy Desgranges. Élève à la khâgne Henri IV en 1940-1941.

« Il ne masquait pas ses préférences idéologiques, mais nous engageait à saisir une pensée dans sa force pure et dure, les pensées amies comme les pensées adverses. Devant ces débats essentiels, il était grave et voulait qu'on le fût. Ni compromis ni frivolité : ces textes posaient des questions qu'on ne pouvait pas esquiver. […] L'écrivain nous faisait découvrir les secrets de l'écriture et du style, et le professeur nous ramenait aux grands classiques, hors de notre "littérature" et de notre concession. Précieuse expérience, à laquelle on se voudrait fidèle. »

Guy Desgranges, Hommage à Jean Guéhenno, Armand Colin, 1962, p. 10.

 

Jean-Marie Domenach, né le 13 février 1922 dans le 2ᵉ arrondissement de Lyon et mort le 5 juillet 1997 dans le 5ᵉ arrondissement de Paris, est un résistant, écrivain et intellectuel français catholique. Élève à la khâgne de Clermont-Ferrand en 1939-1940.

« Ses cours étaient des fusées. »

« Ce fut une explosion comme on en connaît à dix-huit ans. Le plus grand et le plus beau de la littérature française nous tombait dessus en avalanche dans les cours qui commençaient en psychodrame et qui s’achevaient souvent en drame ou en fête. C’est la grande fanfare hugolienne qu’il déchaînait de sa voix haletante. »

Jean-Marie Domenach, Guéhenno, « Socrate au XXe siècle », Les Nouvelles littéraires, 28 septembre 1978.

 

Jacques Dupâquier, né à Sainte-Adresse le 30 janvier 1922, mort le 23 juillet 2010 à Pontoise, est un historien français et membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques), spécialiste de l'histoire des populations et de démographie historique. Élève à la khâgne de Louis-le-Grand en 1941-1942.

« Lorsque j’ai découvert Guéhenno j’étais comme une éponge desséchée sur une plage. Sa présence a été cette eau qui a regonflé et donné vie à l’éponge sèche que j’étais. Il m’a “ révolutionné ” en trois semaines. C’était un homme extrêmement intelligent avec ce que j’appelle une “ expansion ” du cœur. […] Son enseignement revêtait un véritable aspect théâtral. Il déclamait. Le professeur était mué en acteur. Il était un véritable souffle lyrique de toute la littérature. »

Entretien avec Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 23 août 2002.

 

Robert Etienne, né le 18 janvier 1921 à Mérignac et décédé le 9 janvier 2009, est un historien français de l'antiquité romaine. Élève à la khâgne de Louis-le-Grand en 1941-1942.

Robert Etienne garde en mémoire son humeur en cet hiver très rigoureux. Avec ses camarades, il bat la semelle en attendant le maître emmitouflé dans une vaste pèlerine, « très souvent d’une humeur sombre », restant à l’unisson du monde extérieur « qui ne l’invitait ni à plaisanter ni à lâcher un peu de pression ». Souvent, les élèves découvraient avec stupeur leur professeur affalé sur son bureau, silencieux quelques minutes : « C’était pour lui une manière de penser en communion avec la souffrance de l’époque et de participer, ne serait-ce qu’un moment à la tristesse du temps. »

Lettre adressée à Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 8 février 2006.

 

Jacques Lusseyran, né le 19 septembre 1924 à Paris et mort le 27 juillet 1971 à Saint-Géréon, aveugle depuis l'âge de 8 ans, est un résistant français, responsable au sein des mouvements Volontaires de la Liberté, puis Défense de la France, déporté à Buchenwald en 1944-1945, par la suite professeur de littérature et de philosophie aux États-Unis. Élève à la khâgne Henri IV en 1942-1943.

« J’eus cette année-là l’un des plus prestigieux de mes maîtres. Il nous imposait le respect, car il était écrivain. Mais ce mérite ne comptait guère : il tenait d’ailleurs sa puissance. Il avait une présence tragique. Quand il nous vit : “ Messieurs nous tiendrons les fenêtres fermées…” Et ce mot n’était pas une image : il enseignait précisément ce que l’Europe de 1942 proscrivait. Il enseignait la liberté, la liberté devant Pascal, devant Voltaire, devant Renan. Il enseignait le droit de vivre et le grand besoin juste des peuples à devenir heureux. Tout ce qu’il disait, il le savait, il le voulait. Cet homme n’était pas instruit, compétent, à la façon des autres ; ou plutôt, il savait beaucoup, mais il acceptait d’oublier. Nous recommencions avec lui tous les textes, et c’était lui qui les composait devant nous. Sa voix suivait les passions d’autrui avec un respect admirable : elle avait les douceurs de Virgile, la bonhommie de Montaigne et la bravoure de Michelet. Sa voix était faible d’abord. Elle naissait sourdement, insistait, revenait. Jamais elle n’était affectée : elle ignorait la ruse. Puis, peu à peu, elle montait, elle appelait, sollicitait, affirmait. Elle avait de terribles éclats prolongés qui expliquaient ce qu’elle n’avait su dire. Je n’avais jamais connu maître aussi noble et d’une si totale conscience. “Je reprends aujourd’hui, messieurs, ce que je vous disais hier. Je l’ai mal dit. Or nous n’avons jamais le droit de rien laisser dans l’ombre.” »

Jacques Lusseyran, Et la Lumière fut, La Table Ronde, 1953, pp. 260-261.

 

Pierre Moussa, né le 5 mars 1922 à Lyon, est un haut fonctionnaire français devenu banquier. Élève à la khâgne de Clermont-Ferrand en 1939-1940.

« Sa voix était prenante, chaude, facilement lyrique, ponctuée d’exclamations. […] C’était un puissant rhéteur qui s’exaltait progressivement au son de sa propre voix ; cela débouchait quelquefois sur des colères d’orateur public. »

Pierre Moussa, La Roue de la fortune, Fayard, 1989, pp. 18-23.

 

Alain Joseph Raude, linguiste, historien et hagiographe. Élève à la khâgne Louis-le-Grand en 1942-1943.

Alain Joseph Raude se souvient de ce professeur « très franc », qui ne cachait pas ses opinions, ce qui « était flatteur pour nous ; Guéhenno avait confiance en nous, malgré la présence de deux élèves déclarés pétainistes ». Guéhenno ne supporte pas qu’un malaise s’installe entre lui et ses élèves, aussi décide-t-il de mettre les choses au clair. Alain Joseph Raude : « Je vais vous dire exactement ce qui s’est passé. C’est inoubliable. Nous sommes en plein paradoxe dans l’expression. Il nous expliquait Rabelais, L’Abbaye de Thélème, il arrive au passage où Rabelais écrit : “Ce sont gens libères !”, alors là il est parti : “Ce sont gens libères ! Ce sont gens libères ! Et je ne marche pas au pas et ne chante pas en cœur, ce qui serait se ramener à la bête !” Ce sont ces propos qu’il a utilisés pour mettre les choses au point. En se déclarant de façon paradoxale : marcher au pas et chanter en cœur, se ramener à la bête. Nous en avions le souffle coupé, personne n’a protesté, personne n’a été lui dire : “ Vous dites, vous avez pensé que marcher au pas de l’oie, cela relève de la bête, ou chanter en cœur, c’est hurler avec les loups !” Ces idées étaient sous-jacentes ! »

Entretien avec Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 28 mai 2003.

 

Madeleine Rebérioux, née le 8 septembre 1920 à Chambéry (Savoie), morte le 7 février 2005 à Paris, est une historienne française spécialiste de la IIIᵉ République. Élève à la khâgne de Clermont-Ferrand en 1939-1940.

« Nous avions comme professeur en littérature française et en latin Jean Guéhenno. Il ne savait pas beaucoup de latin mais cela n’avait pas d’importance : en littérature française il était très brillant. Le latin l’ennuyait à périr. […] Il était défensiste, comme on dit aujourd’hui quand on évoque cette époque, c’est-à dire qu’il pensait qu’il fallait faire face à la montée du nazisme par tous les moyens. Les textes qu’il nous faisait commenter en littérature française lui étaient l’occasion de se comparer à d’innombrables grands écrivains de son temps pour dire d’ailleurs qu’il leur était supérieur à tous, mais en même temps pour nous former dans cette idée qu’il faut résister. »

Actes du colloque des Universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg : Les facs sous Vichy, novembre 1993, textes rassemblés et présentés par André Gueslin.

 

René Rémond, né le 30 septembre 1918 à Lons-le-Saunier et mort le 14 avril 2007 à Paris, est un historien et politologue français, membre de l’Académie française à partir de 1998. Élève à la khâgne de Louis-le-Grand en 1941-1942.

René Rémond perçoit la peur chez son professeur : « C’est un écrivain réduit au silence, suspect pour les autorités », mais aussi sa méfiance envers certains, car aucun élève n’est dupe, les allusions, même discrètes, laissent deviner sa pensée ; les khâgnes étaient des « potaches suffisamment éveillés, et les temps que nous courions nous obligeaient à comprendre vite ».

Entretien avec Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le19 février 2001.

 

Jean-Pierre Richard, né à Marseille le 15 juillet 1922, est un écrivain et critique littéraire français. Élève à la khâgne Henri IV en 1940-1941.

« La qualité de sa prise critique ? Oui, unique, bien sûr, et poétique… cette poésie consistait en un extraordinaire investissement individuel, “joué ” dans le théâtre d’un corps, d’une voix séduisante, et parvenant à faire ressentir à ses auditeurs à la fois, et c’était cela le miracle, la qualité unique, le charme matériel d’un texte, sa pente littérale, et le mouvement singulier_sentimental, philosophique, politique, psychologique _dont ce texte avait réussi à devenir l’incarnation, et même, au-delà de celle-ci, le modèle presqu’idéal. D’où l’extraordinaire généralisation (“ C’est çà Rousseau, et c’est ça la Révolution Française ! ”) ».

Lettre adressée à Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 29 février 2001.

 

Armand Robin, né le 19 janvier 1912 à Plouguernével, mort le 29 mars 1961 à Paris, est un écrivain français, également traducteur, journaliste, critique littéraire et homme de radio. Élève à la khâgne du lycée Lakanal de Sceaux.

« Vous ne devez pas être triste, Guéhenno; vous avez aidé tant de vos contemporains à découvrir leur noblesse, donc leur joie, donc leur confiance ; il ne se peut pas que ne revienne vers vous la joie partie de vous ; il ne se peut pas que vous ne redeveniez ce que vous avez créé. Courage : il est impossible que la vie vous paraisse longtemps amère, une lutte sans objet contre une poussière de tourments ! L'amour qui est en vous vous est aussi un très authentique gage de victoire : l'on ne se défend mal que contre ce que l'on hait et contre ce que l'on craint ; vous ne haïssez pas, vous ne craignez pas, vous ne pouvez être que vainqueur.

Mais croyez-vous vraiment que nous soyons seuls? Et vous, Guéhenno, vous n'êtes pas seul ; les hommes se pressent pour écouter celui qui parle une langue un peu plus noble que celle de la tribu ; ce sont eux qui sont seuls ; combien de gens qui ne sont que bureau, ou machine, ou comptoir ; combien d'autres qui ne sont que 3 ou 4 affaires à réussir, qu'une fille à marier comme il faut! Ils risquent de ne jamais entendre dans leur vie une seule parole qui soit purement et uniquement humaine. La plus authentique solitude est peut-être celle-là : être si réduit par la vie à son occupation individuelle que l'on ne puisse plus connaître que des "rapports", que des "relations". Mais vous, Guéhenno, sentez-vous comment vous êtes précisément "un briseur de solitude"? Tout artiste a pour premier rôle d'intercaler entre les individus des mots magiques qui établissent cette difficile et nécessaire communication ; et c'est pourquoi votre solitude n'est pas, ne peut pas être la véritable ; elle n'est qu'apparence créée par le milieu où vous vivez entre esprits, oui, l'on est seul devant ses égaux. Les 40 chevaliers de la Table Ronde ne devaient pas être très "copains": chacun d'eux s'était signalé par trop d'exploits singuliers... De même Giono devant Malraux doit se sentir bien seul, mais dès qu'il est à Manosque... Et vous-même, Guéhenno, vous vous sentez isolé parmi vos contemporains ; vous ne l'êtes que parmi quelques-uns d'entre eux, que parmi cette quarantaine d'esprits qui disposent de la destinée spirituelle de leur époque ; mais il y a les milliers d'autres et là je vous assure que vous êtes bien loin d'être seul. »

Lettre adressée par Armand Robin à Jean Guéhenno le… (date incertaine : 11 mai 1935 ( ?) 14 mars( ?) ou   11 avril 1936 ?)

 

Claude Santelli, est un réalisateur, scénariste et producteur français, né le 17 juin 1923 à Metz et mort le 14 décembre 2001. Élève à la khâgne de Louis-le-Grand en 1941-1942.

« Il a beaucoup compté dans ma vie, c’était un homme profond, avec un sens de la démocratie, de la liberté et de la vérité, ces valeurs il nous les insufflaient à mi-mots pendant cette période trouble de l’Occupation. »

Entretiens À voix nues enregistrés pour France Culture et diffusés les 29, 31 mars et 2 avril 1999.

 

Jean Sirinelli, né le 12 mai 1921 à Ville-di-Paraso et mort le 14 septembre 2004 à Paris, était un helléniste. Élève à la khâgne Henri IV en 1940-1941.

« Il se présentait à nous sous la forme d’une silhouette quelque peu particulière : il portait une cape et un béret, et une serviette toujours “ bourrée ” sous le bras. »

« Il y a du Péguy chez Guéhenno après 1914, un Péguy qui aurait survécu à la Grande Guerre. Il aura sa place dans l’étude des années 1920-1940. Jean Guéhenno est un témoin chaleureux, désintéressé, lucide, ses origines lui permettent de porter des jugements qui ne peuvent être contestés. Ses œuvres ressortiront, elles sont une période de transition. Il n’a pas la place qu’il mérite parce que l’histoire n’a pas fait son travail. Tout reste à accomplir dans l’étude des années 1920-1940. Ce travail prouvera que Guéhenno est un personnage incontournable. ».

Entretien avec Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean-Guéhenno, le 20 février 2001.


Ils ont dit de lui ou ils lui ont dit…

Quelques références données ici sont incomplètes. Nous serons reconnaissants à nos lecteurs de nous aider à les préciser.
(Responsable de cette rubrique : François Roussiau. Dernière mise à jour en janvier 2021)

 

Arnoux Maurice, cordonnier-bottier à Belleville

« Jean Guéhenno semble prendre un grand plaisir à parler métier avec moi. Il me fait décrire les ateliers de chaussure de Belleville, les méthodes de travail, mes patrons successifs, mes camarades. Il me questionne sur les rapports patrons-ouvriers, l’ambiance, le montant des payes. […] Il me demande si je sais ce qu’est un chaussonnier. Je suis fier de lui expliquer que le travail d’un chaussonnier est une des spécialités les plus difficiles du métier de bottier, utilisée seulement pour la confection des chaussures de haut luxe. »

  • Bloit Michel, Moi, Maurice, bottier à Belleville, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 242.

 

Assouline Pierre (né en 1953), journaliste, chroniqueur de radio, romancier et biographe français

« Le livre de Jean Guéhenno ne m’a jamais quitté. Celui-ci fut l’un des rares qui sauva l’honneur des lettres françaises sous l’Occupation. Parce qu’il ne pouvait pas cesser d’écrire tout en jugeant indigne de publier sous la botte. De 1940 à 1944, son attitude fut impeccable. Pas la moindre compromission. Il faut le lire entièrement, non seulement pour ce qu’il dit de l’époque mais pour ce qu’il nous dit de nous aujourd’hui. »

  • Blog de P. Assouline, La République des livres, 9 janvier 2006, « Pourquoi la France ne s’aime pas ».

 

Baillou Jean (1905-1990), universitaire, diplomate, historien

« Membre de l’Académie française couvert d’honneurs, Jean Guéhenno était resté simple envers les autres et vis-à-vis de lui-même. Tel s’avançait-il de sa démarche un peu dansante, appuyé sur une canne, le pardessus ouvert sur son cache-nez de laine, avec la bonhommie  ̶

l’expression est de l’un de ses disciples  ̶  d’un Socrate du XXe siècle. »

  • Allocution de Jean Baillou, président de l’association des Anciens élèves de l’École normale Supérieure, du 19 novembre 1978.

 

Benda Julien 1867-1956), critique, philosophe et écrivain français, principalement connu pour La Trahison des clercs (1927) (Voir Léautaud, Paul, plus loin)

« Il est insupportable… Il est très prétentieux… C’est une création de Daniel Halévy… J’ai horreur de Guéhenno. »

  • Conversation entre Paul Léautaud et Julien Benda enregistrée en 1950, archives radiophoniques.

 

Blanzat Jean (1906 -1977), romancier français, membre de la Résistance

« L’une des chances de ma vie est que je sois devenu et n’aie guère cessé, depuis, d’être l’un des compagnons de Guéhenno. Cela fait trente ans de souvenirs. Les plus vifs et les plus chers, peut-être, se rapportent curieusement aux " années noires ". Pendant toute l’Occupation, nous ne nous sommes guère quittés, avec ces deux autres amis, François Mauriac et Jean Paulhan […]  Jean Guéhenno est donc cet écrivain singulier qui, " ayant horreur de l’anecdote ", étranger plus que personne à la complaisance, a en quelque sorte, exactement et minutieusement raconté sa vie pour que nous y reconnaissions la nôtre et notre époque. »

  • Livres de France, n° 10, décembre 1961.

 

Jacques de Bourbon Busset (1912-2001), écrivain et diplomate français, membre de l'Académie française

« Un grand écrivain ou, plus exactement, un écrivain assuré de durer, est celui qui, à partir de quelques images fondamentales de son enfance, découvre ce qu’il a à dire et ne cesse de le dire avec courage et force. Tel est sans doute le cas de Jean Guéhenno […] C’est pourquoi je suis convaincu que la constance de Jean Guéhenno, au long de sa vie, assurera à son œuvre, dans les années à venir, les nombreux et fidèles lecteurs qu’elle mérite. »

  • « Jean Guéhenno et sa vérité », Revue des Deux Mondes, n°1, janvier 1972.

 

Bourdet Denise, née Rémon, dite de Saint-Léger (1892-1967), femme de lettres française

« En musique, andante désigne un tempo non pas lent, mais modéré, allant. Ces deux derniers adjectifs, d’apparence contradictoire, conviennent à Jean Guéhenno, à la juste mesure de sa pensée et de sa phrase qui ne l’empêche pas de s’émouvoir et se mouvoir sans tarder quand son cœur l’y oblige. […] Têtu comme un Breton. (Jean Guéhenno est né à Fougères). De son obscure enfance, s’il s’obstina à remonter jusqu’aux lumières de l’esprit, cela ne changea pas son âme, ne fit que le renforcer dans son amour pour les siens, l’encouragea à réclamer pour ses pareils que l’ascension leur soit facilitée. Nul orgueil d’avoir forcé sa destinée. Ses humanités ne sont plus une conquête mais un souvenir heureux, et l’andante de leur symphonie son culte de l’humanité. »

  • Encre sympathique, Grasset, 1966, pp. 167-175.

 

Bourgeade Pierre (1927-2009), romancier, dramaturge, poète, scénariste, réalisateur, journaliste, critique littéraire et photographe

« Il était fils de sabotier : il n’y a plus de sabotiers. Il croyait au Front populaire : il n’y a plus de Front populaire. Il croyait à l’humanisme : il n’y a plus d’humanisme. Il était une sorte de saint laïc : il n’y a plus de saints, il n’y a plus de laïcs, il n’y a plus de clercs, il n’y a plus rien. Il n’y a plus que la trace que peut laisser dans l’histoire l’enfant vertueux qu’il a été du commencement de sa vie à sa fin… trace discrète, intime et, qui sait ineffaçable. »

  • « Jean Guéhenno : le centenaire d’un humaniste », Le Figaro, 24-25 mars 1990,

 

Brasillach Robert (1909-1945), écrivain et journaliste

« [Dans le Journal d’une « révolution », Guéhenno] nous parle du peuple d’une façon un peu solennelle, mais touchante et juste. […] Il nous touche aussi par un accent de sincérité déçue. […] À travers ses larmes et ses désillusions, il n’est pas difficile de découvrir encore une fois, et malgré lui, la réalité malfaisante et grotesque d’une des plus folles aventures françaises [Le Front populaire]. »

  • « Journal d’une « révolution », in L’Action française, 11 mai 1939, p. 5 (recensé en parallèle avec La Terreur rose, d’Alain Laubreaux).

 

Brincourt André, (1920 – 2016), écrivain et journaliste français.

« Et peut-être devons-nous aux duretés du monde littéraire d’avoir soudain perçu en Jean Guéhenno la qualité la plus haute, la plus rare : un certain refus d’avoir honte, dans ses obstinations, dans ses écœurements, dans sa foi de cordonnier. » 

André Brincourt met en avant « son apport naïf et buté à “penser mieux devant les autres, avec les autres et pour les autres que seul et pour lui seul”, son combat pour que cesse la collusion entre la puissance et la culture, son choix de citoyen afin que la dignité prime le bonheur, son choix d’écrivain pour crier ou se taire (fier silence des années noires), sa volonté d’accepter la liberté comme une charge pour reconnaître son poids d’homme, sa décision de toujours remettre la mort à sa place, c’est-à-dire derrière soi. »

  • « Hommage à Jean Guéhenno », Le Figaro, septembre 1978

 

Brulé Eugène (1929-1999), journaliste français qui a fait toute sa carrière au quotidien régional Ouest-France

 « Jean Guéhenno me faisait l’honneur de son amitié et à diverses reprises, j’ai eu le privilège de passer de longs moments avec lui, dans la maison de pêcheur de Port-Blanc où il venait chaque été, ou bien dans son appartement parisien. Des heures inoubliables, tant la culture de ce grand humaniste était étendue, et sa réflexion riche et profonde. [ …]  "Vous avez de la chance, m’avait-il confié lors d’une de nos dernières rencontres, vous croyez en Dieu et vous ne serez pas déçu. Personnellement, j’ai cru aux hommes et les hommes m’ont ter…riblement déçu" […] Les hommes sont bêtes…bêtes […] N’importe ! Il nous faut continuer de croire et de vouloir". »

  • Eugène Brulé, « La mort de Jean Guéhenno, croire en l’homme », Ouest-France, 25 septembre 1978.

 

Camus Albert (1913-1960), Prix Nobel de littérature (1957)

« À Jean Guéhenno, juste et libre, Le Malentendu-Caligula, avec la fidélité de son vieux camarade et de son jeune ami. »

  • Dédicace pour les deux pièces de théâtre Le Malentendu et Caligula, 1944.

« Cher Guéhenno, j’ai lu d’un trait votre brochure sur la France et il faut bien que je vous dise ma sympathie et mon accord. Je suis si sûr que vous avez raison ! La démocratie est une aventure, en effet, et c’est même l’aventure propre de la France et de chacun de nous. C’est pourquoi il n’y a pas de démocrates repus. Il y a des repus qui se disent démocrates. Quant aux autres, qui ne sont ni repus, ni démocrates, ils sont dans l’abstraction, quoi qu’ils en pensent, c’est-à-dire loin de l’homme. Nous voilà bien seuls apparemment ! Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai qu’à vous lire et lire quelques autres que je connais pour savoir que ces vérités si modestes et si malheureuses sont les vérités de tous et que c’est ce langage-là et non celui des gouvernements et des politiques que parlent en cent langues différentes les peuples épouvantés par ce qui se prépare. Quelquefois le poids de ce monde me paraît un peu lourd. Vous connaissez cela. On se dit qu’il vaut mieux se détourner, solitude pour solitude, préserver du moins celle qui ne fera de mal à personne. Mais il y a des hommes comme vous, il y a ce journal que j’ai lu dans le " littéraire" avec émotion et l’on se dit qu’il faut continuer. Ai-je eu tort de vous dire cela ?  J’ai beaucoup de choses en commun avec vous, mais d’abord une fidélité aux mêmes origines. Voilà pourquoi avec vous, avec Guilloux, ou d’autres, il me semble que je peux laisser parler un peu ce que j’ai de plus profond. Ne doutez en tout cas ni de mon attachement ni de ma solidarité. Je vous donne la main. » 

  • Lettre d’Albert Camus à Jean Guéhenno, 1946, sur La France dans [et] le monde, Paris, Éditions de la Liberté.

 

Cassou Jean (1897–1986), écrivain, résistant, conservateur de musée, critique d'art, traducteur, et poète français. Il est également le directeur-fondateur du Musée national d'Art moderne de Paris.

« L’enseignement de Guéhenno revêt toute sa nature, prend toute sa valeur dans la véhémence. Ces années tumultueuses du Front populaire lui ont fourni l’occasion d’exprimer toute sa véhémence. Elles ont été l’éclairage sous lequel les messages historiques qui palpitent au plus secret de lui pouvaient s’animer. Ce sont ces messages qui se réunissent et se pressent dans l’idée de peuple et en font une gerbe de Messidor. »

  • Hommage à Jean Guéhenno, Armand Colin, 1962.

 

Chamson André (1900-1983), essayiste, historien, conservateur de musée et romancier français. Il fonde en 1935 avec Jean Guéhenno et Andrée Viollis l'hebdomadaire Vendredi.

 « Comment parler d’un ami de quarante ans comme il convient de le faire ? […] Il est de ceux qui n’ayant jamais utilisé leur jeunesse comme une singularité restent toujours jeunes, comme il est de ceux qui n’ayant jamais été "à la mode" ne sont jamais démodés. Si Vendredi n’a jamais cessé d’être un journal libre, jusqu’à sa fin, c’est parce que je fus soutenu par la  loyauté et la fermeté de Jean Guéhenno. D’autres aussi jouèrent leur rôle dans cette affaire, mais Guéhenno en fut la barre d’acier. » 

  • Hommage à Jean Guéhenno, Armand Colin, 1962.

 

Chastenet Jacques (1893-1978), historien, diplomate, journaliste et académicien français

« [Votre père appartenait à cette] race de l'artisan fier de son état, impatient des contraintes, plus impatient des injustices, croyant à la raison et à la science, allègre, malicieux, superbe en face des superbes, fraternel aux humbles, révolté par les inégalités sociales, mais animé d'une foi inébranlable en un avenir meilleur et plus équitable. [...] Ne vous en déplaise, Monsieur, vous êtes un héritier, l'héritier d'une tradition qui a ses lettres de grande noblesse. 

[...] Le cœur parle volontiers en vous et vous le laissez volontiers parler : mais vous avez en même temps l'amour, la passion même de la raison. »

  • Discours prononcé dans la séance publique tenue par l'Académie française pour la réception de M. Jean Guéhenno, le jeudi 6 décembre 1962, Typographie de Firmin-Didot, 1962.

 

Clancier Georges-Emmanuel (1914-2018), écrivain et poète

« Cette fervente réflexion sur la condition humaine et sur la société, réflexion nourrie certes d’une expérience vécue mais s’exprimant à travers la trame d’une vaste culture, cette suite d’études, d’essais critiques ou allégoriques, de carnets, de journaux, tout en nous parlant des auteurs, des œuvres, de l’Histoire, dessine, comme en pointillé, une sorte d’autobiographie intellectuelle ou intellectualisée. »

  • « Jean Guéhenno, de l’autobiographie intellectuelle à la création littéraire », in Actes du colloque organisé du 2 au 4 mai 1990 à l’Unesco à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Guéhenno.

 

Clarac Pierre (1894-1986), universitaire français. Jean Guéhenno l’a remplacé comme professeur à Louis-le-Grand.

« Si "notre croyance, comme l’écrit Guéhenno, n’est que le rêve que nous faisons à propos des hommes", son rêve à lui procède de cette générosité de nature, de cette fidélité à ses origines dont toute son œuvre porte la marque. […] Il s’inquiète peu de la vérité qui échappe à nos prises. Sa vérité à lui, en tout cas, n’est pas triste. La foi en l’homme aura été le principe de sa vie militante. Une confession si loyale n’inspire pas seulement de la sympathie ; elle invite chaque lecteur à l’examen de soi-même. »

  • Pierre Clarac, Ce que je crois, par Jean Guéhenno, L’Éducation nationale, 13 février 1964.

 

Clavel Bernard (1923-2010), écrivain français principalement connu pour ses romans, mais aussi essayiste, poète, conteur pour la jeunesse.

« Je n’ai pas attendu ce soir pour le dire : La  mort des autres est à ma connaissance, le livre le plus honnête, le plus lucide et le plus fort qu’ait fait naître la guerre de 1914. Un livre porté durant plus de cinquante années. Cinquante années de colère. […] Il avait besoin d’une rigueur et d’un engagement total. Son œuvre devrait figurer dans toutes les bibliothèques de toutes nos écoles […] On ne peut être que petit, très petit à côté d’un tel homme. Ce que je dis de lui est, fatalement, d’une terrible banalité. Je n’ai pas d’autre ambition que de servir sa mémoire, de faire en sorte qu’on le lise le plus possible. S’il m’entendait, sans doute serait-il encore en colère. Pour me faire pardonner, le citant une fois de plus, je dirais que j’ai seulement voulu célébrer celui qui s’est : " toujours défié de la puissance " et qui a mis son " honneur à rester un homme du commun ". »

  • Allocution de Bernard Clavel à Fougères à l’occasion du 70e anniversaire du 11 Novembre 1918 et du 10e anniversaire de la mort de Jean Guéhenno, prononcée lors du spectacle du Livre Vivant de Michel Philippe, La Mort des autres, le 15 novembre 1988.

 

Daniel Jean (1920-2020), écrivain et journaliste français. Il est le fondateur, directeur et éditorialiste du Nouvel Observateur.

« Guéhenno n’a jamais cessé de manifester une fidélité crispée à un certain visage du pacifisme, un visage fier et résistant, choisissant mais en dernier recours seulement, la dignité désespérée d’une contre-violence ajustée et maîtrisée. »

  • « Les écrivains et le pacifisme », in Actes du colloque organisé du 2 au 4 mai 1990 à l’Unesco à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Guéhenno.

 

Decaux Alain (1925-2016), écrivain, biographe, homme de télévision et de radio, académicien français.

« On vit paraître un grand oiseau blanc avec des ailes noires. C’était un fou de Bassan, comme Jean Guéhenno savait si bien les reconnaître. L’oiseau vola quelques instants au-dessus du bateau. Puis il s’éloigna. La brume se déchira. De nouveau le soleil apparutLe patron avait remis son moteur en marche. Le bateau, dans la lumière, repartait vers la terre. Il repartait vers ce que Jean Guéhenno avait le mieux et avec le plus de confiance chanté : la vie. » 

  • Discours de réception à l’Académie française, hommage à Jean Guéhenno, mars 1980.

 

Diolé Philippe (1908-1977), journaliste à Paris Presse.

« La voix grave montait, devenait rauque, s’enflait d’indignation ou de passion. Brusquement il se passait la main sur le front, rejetait en arrière la mèche rebelle, passait cinq doigts dans une chevelure léonine et se cachait le visage dans les mains. Il était au paroxysme de l’enthousiasme ou de la colère. Il avait fait passer sur nous un souffle, une tempête. IL enlevait ses mains de son visage et le sourire apparaissait vainqueur, très doux, presque tendre. […] Jean Guéhenno qui a quitté l‘école à quatorze ans pour entrer comme ouvrier dans une usine de galoches, fut professeur de khâgne à Lakanal, à Henri-IV et à Louis-le Grand, puis inspecteur général de l’enseignement. Il représentera à l’Académie un humanisme surgi du plus profond de la pauvreté française. »

  • Philippe Diolé, « Jean Guéhenno ou l’aventure de l’esprit », Paris Presse, 27 janvier 1962.

 

D’Ormesson Jean (1925-2017), parfois surnommé Jean d'O, écrivain, journaliste et philosophe français

« Discret, modeste, et pourtant intraitable  ̶  il l’avait montré avec éclat sous l’Occupation allemande  ̶  Jean Guéhenno appartenait, comme Jean Rostand, à une famille d’esprit bien déterminée : le libéralisme de gauche […]  Jean Guéhenno était un humaniste. Il l’a été intégralement, d’un bout à l’autre de sa vie très étroite et très belle dominée à la fois par l’intelligence et le cœur ». 

  • Jean d’Ormesson, « Un homme de cœur », Le Figaro,  25 septembre 1978.

 

Drieu la Rochelle Pierre (1893-1945), romancier, essayiste et journaliste

« À Jean Guéhenno, en signe de mésentente ». 

  • Dédicace pour Écrits de jeunesse (1917-1927) 

 

Ezine Jean-Louis, Jean-Louis Bunel (né en 1948), journaliste, chroniqueur à la radio et écrivain français

« On chercherait en vain dans ce siècle un écrivain plus modeste que l’auteur de Caliban parle, autodidacte et donc gêneur, attaché viscéralement à la Bretagne ouvrière et pauvre dont il est issu, qui a eu sur les penseurs de sa génération l’avantage de payer le prix de son accession à la culture, et l’honnêteté d’en témoigner sans cesse. » 

  • Jean-Louis Ezine, Les écrivains sur la sellette, Seuil, 1981.

 

Garcin Jérôme (né 1956), journaliste et écrivain français. Il dirige le service culturel du Nouvel Observateur, produit et anime l'émission « Le Masque et la Plume » sur France Inter, et est membre du comité de lecture de la Comédie-Française.

« Les Carnets du vieil écrivain de Jean Guéhenno - que le Livre de Poche a l’excellente idée de rééditer - figurent un véritable paradis : d’intelligence, d’honnêteté, d’humanisme vrai, et de grandeur d’âme.[…] Aussi, les Carnets du vieil écrivain, parus sept ans avant sa mort, ont-ils la qualité supérieure de ces livres où le témoignage se confond avec le bilan personnel, où la vivacité d’esprit se nourrit d’une sagesse de philosophe, où l’inquiétude n’a pas prise sur cette sérénité marbrée dans laquelle un visage se moule pour l’éternité.[…] Écoutez sans tarder les tambours intérieurs et les trompettes intimes de ce livre droit et fervent où la littérature…sonne comme une réjouissance, comme un cri de liberté, et comme un credo secret. Avec Guéhenno, impossible de faire tapisserie. »

  • Les Nouvelles littéraires, Carnets du vieil écrivain de Jean Guéhenno par Jérôme Garcin, 1981.

"À bien y regarder, la haine détruit davantage de talents qu'elle ne produit de chefs-d’œuvre. Et, au petit jeu de la littérature comparée, cher à l'Université, je préfère, au chapitre de l'éducation intellectuelle, Dix-huitième année de Prévost, où passe la grâce, à Notre avant-guerre de Brasillach, qui sent sa propédeutique ; le Journal des années noires de Guéhenno aux Deux étendards de Rebatet ; les poèmes de René Char à la prose de Sachs ; et les pages de Camus à celles de Bonnard."

  • Jérôme Garcin, Pour Jean Prévost, Gallimard, 1994, p. 21.

 

Genevoix Maurice (1890-1980), écrivain et poète, académicien français

« Tu as été un homme tourmenté. Tu as connu, comme nous tous, les joies, les peines, les traverses, les déchirements. Mais tu as été néanmoins, je le crois, un homme heureux. Parce que tu as été, tout au long de tes jours, un homme solidaire, soucieux des hommes tes semblables, de leur peine, de leur destin, de leur salut ; généreusement, fraternellement soucieux. […] Mais l’humanisme, n’est-ce pas aussi cela ? En tous cas, à mes yeux, c’est le tien. Il s’est nourri d’une longue culture, de ta fréquentation des grandes œuvres, de la substantifique moelle de tes compagnons d’élection, Michelet, Renan, Rousseau, Rolland, mais non moins et d’abord de ta vie, de tes jours, de ton expérience vivante, chaleureuse, attentive, d’autant plus scrupuleuse qu’elle était passionnée davantage. Bien perspicace, et bien téméraire, celui qui ferait le départ ! Je m’y refuse et te prends comme tu es ; comme vous êtes. »

  • Discours prononcé par Maurice Genevoix, le 7 juin 1973, lors de la cérémonie de remise du prix Cino  Del Duca à Jean Guéhenno. 

« Professeur, enseignant, journaliste responsable, soucieux toujours de rencontres durables, guide attentif et scrupuleux, curieux des êtres, respectueux des personnes jusqu’au plus fort de ses indignations, tel était-il aux premiers temps d’une vocation pleinement consentie, tel il restait, constant dans ses fidélités, lorsqu’il nous a, pour notre chagrin, quittés [] Jean Guéhenno n’a jamais cessé d’aller au-devant, les mains offertes et le visage à découvert. Mieux que personne donc, par sa parole et par ses livres, il témoigne, et, toujours, son témoignage lui ressemble. »

  • « Jean Guéhenno, 25 mars 1890 - 22 septembre 1978 », Annuaire des Anciens Élèves de l’École normale supérieure, 1979.

 

Gide André (1869-1951)

« Comme d’autres "parlent du nez", il parle du cœur ; ça fait vibrant et il finit par être authentiquement convaincu de ce qu’il dit. Avec une inconscience déconcertante, glissant du particulier au général, il fait de sa cause et de ses griefs personnels ceux du peuple qu’il prétend représenter. »

  • André Gide, « Billet [à Angèle] », 21 décembre 1937 (paru dans La Flèche du 25 décembre 1937, rep. in Littérature engagée, Paris, Gallimard, 1950.

 

Giono Jean (1895-1970), fils de cordonnier comme Jean Guéhenno

« J’ai lu avec passion tout le Journal [d’un homme d’un homme de quarante ans] et mon enthousiasme est de plus en plus assis. C’est un des plus grands livres de toute notre génération. Il porte en lui-même de quoi guérir de grandes plaies et il est en même temps si humain que les souffrances sont calmées. Je t’aime dix fois plus depuis que j’ai lu ce que tu as écrit. »

  • Lettre du 22 novembre 1934

« Ton livre c’est de la paix et de l’espérance pour les hommes de bonne volonté. Guéhenno, ton livre c’est de l’espérance. Il faut que nous nous levions, nous autres la génération des hommes au sang noir. Comme tu viens de te lever. Il faut que tous ceux qui veulent espérer te lisent. Il faut que ta voix soit énorme et retentissante. » 

  • Article sur le Journal d’un homme de quarante ans, in Marianne, 26 décembre 1934.

« Ne t’inquiète pas, nous te suivrons. Ce n’est pas à Europe que je publiais mes textes, c’est à une revue qui s’appelait Jean Guéhenno. Ne te laisse pas décourager par ces saloperies auxquelles nous devons nous attendre. Pense seulement que de plus en plus nombreux sont ceux qui t’aiment. »

  • Lettre du 25 janvier 1936.

En avril 1937, Giono écrit à Guéhenno son dégoût des nouveaux Déroulède et lui reproche les compromissions de Vendredi : « les ignobles attaques contre Gide », les procès de Moscou, la guerre. (« Vous n’osez pas en penser grand-chose »), « la duperie du patriotisme idéologique », « les champs de bataille seront jonchés désormais de morts sortis de vos stylos »

  • Lettre du 6 avril 1937.

« J’ai l’impression que nous ne poursuivons pas la même lutte ni l’approche des mêmes buts. Je suis pacifiste moi, mon vieux. Et toi, mon pauvre vieux tu es à la fois parisien et professeur, alors que veux-tu ? »

  • Lettre du 10 juillet 1937.

« Tu es un imbécile et un imposteur. »

  • Lettre du 17 décembre 1937 où il montre son exaspération devant l’enthousiasme de Guéhenno pour la Pasionaria. Il lui reproche également une lettre ouverte à André Gide.

À son ami retrouvé, il écrit le 16 février 1950 : « J’ai bien peur que nous ne soyons plus déjà que les sédiments d’une grande mer disparue. » et le 30 décembre 1952 : « Je crois qu’il n’y a rien au-dessus de l’amitié. »

Les différentes lettres de Giono ont été reprises dans Jean Giono-Jean Guéhenno, Correspondance 1928-1969.  Pierre Citron, Éditions Seghers, 1991.

 

Goldman Jean-Jacques (né le 11 octobre 1951), auteur-compositeur-interprète français, également producteur, de variété et de pop rock. Il a écrit et interprété « Il changeait la vie », une chanson, parue dans l'album Entre gris clair et gris foncé, en 1987.

« Ce que vous écrivez me touche beaucoup. Non ! Il n’y a aucun rapport, mais pourtant, oui ! Les rapports sont incroyables : ce que vous m’apprenez de Jean Guéhenno (que je ne connaissais que de nom, croisé au cours de ma scolarité) me sidère, tant je me sens proche de lui, de son vécu, de ses pensées. De mon père ouvrier (immigré) militant, respecté plus que tout, à la vénération de l’école qui nous a tant donné… en passant par la haine du mépris des bourgeois mais aussi du « sartrisme », ma méfiance d’« homme de gauche » envers le sectarisme «  de gauche », aversion pour les honneurs… Cerise sur le gâteau : ma devise : "seule la vérité est révolutionnaire " ».

  • Réponse à une lettre de Patrick Bachelier le 1er janvier 2003.

 

Grall Xavier (1930-1981), poète, écrivain et journaliste breton

« On sait que cette vieille baderne donne à bon compte dans l’humanisme. C’est un humaniste respectable mais d’autant plus vain, douillet et au bout du compte exécrable qu’il a quelque chose de radical-socialiste. On sait ce que cela a pu donner […] pour la Bretagne - puisque Guéhenno a chipé le nom de l’un de nos plus beaux calvaires et qu’il se dit breton  ̶  ce régionalisme pleurard grâce auquel il se trouve en bonne compagnie dans les stalles, avec Monseigneur Henri Quéffelec. Il y a des vieillards qui n’ont décidément pas le temps de mourir. Non pas que je veuille enterrer un homme si bon ! Mais j’aimerais qu’il se taise enfin-et surtout qu’il ne parle plus d’un pays qu’il aura contribué à étouffer avec ses bons sentiments de sabotier gallo qui a réussi ! Pauvre Guéhenno ! » 

  • Revue Sav Breizh, janvier-février 1972.

 

Grenier Jean (1898-1971), philosophe et écrivain français, ami de Jean Guéhenno depuis leur rencontre en 1927 chez Daniel Halévy. 

« Mon cher ami, J’ai reçu ton livre [Journal d’un homme de 40 ans] que j’ai relu et qui me paraît bien proche très souvent de ce qu’on appelle un "chef d’œuvre". Les dernières pages débordantes de lyrisme et de tendresse humaine m’ont profondément ému. » 

  • Lettre du 16 décembre 1934, reprise dans Jean Grenier-Jean Guéhenno, Correspondance (1927-1969).

 

Guilloux Louis (1899-1980), auteur du Sang noir en 1935. Louis Guilloux et Jean Guéhenno échangeront 317 lettres de 1927 à 1967, surtout de 1927 à 1934.

« Cher Ami, Je vous appelle ainsi, car je sais que vous êtes mon ami comme je suis le vôtre, et quand j’ai lu l’autre jour la copie de votre lettre qu’Halévy m’avait envoyée, pourquoi ne vous dirai-je pas que je me suis mis à pleurer et que je vous ai appelé frère ? C’est un hasard prodigieux que celui d’une pareille rencontre, d’une pareille communauté. Comme votre lettre m’a touché ! et comme je désire vous connaître. Je vous donne mes récits avec une grande joie. ». 

  • Lettre du 10 mars 1927.

« Mon cher vieux, si tu le permettais, je serais vraiment bien heureux de t’offrir ce petit livre [Compagnons]. Je mettrais simplement ton nom en tête de mon ouvrage, comme celui d’un bon compagnon, que j’aime bien, et qui, mieux que personne peut deviner et savoir ce que j’ai voulu mettre dans ces pages. » 

  • Lettre du 21 décembre 1930.

« Mon cher vieux frère, Tout va ici comme tu as vu… Rien n’est changé. Nous vivons d’espoir, d’eau claire et de patates. Á propos de patates les envois sont impossibles pour le moment, mais j’espère bien que ces mesures ne sont pas définitives. Dès qu’il sera, je t’en enverrai comme il était entendu. » 

  • Lettre du 25 septembre 1941.

« Mon cher vieux, Il y avait bien longtemps que je n’avais vu ton écriture sur une enveloppe, et en la reconnaissant, je t’assure que j’ai eu bien du plaisir. […] Je partage mon temps entre la Bretagne et Paris. Nous aurons certainement l’occasion de nous rencontrer, un de ces jours, je la chercherai si elle ne se présente pas d’elle-même ; sois assuré en tous cas, que je serai très heureux de te voir ; c’est là-dessus que je termine ce mot en te serrant la main bien fraternellement. » 

  • Lettre du 16 décembre 1967.

Toutes ces lettres de Louis Guilloux sont reprises dans Jean Guéhenno-Louis Guilloux, correspondance, 1927-1967, Les Paradoxes d'une amitié, édition établie et annotée par Pierre-Yves Kerloc’h. Présentation par Pierre-Yves Kerloc’h et Alain-Gabriel Monot, La Part Commune, 2010.

 

Guissard Lucien (1919-2009), journaliste de La Croix.

« Jean Guéhenno est un esprit loyal. S’il fait l’inventaire de sa culture, s’il converse avec les écrivains qui l’ont éveillé puis enchanté durablement, c’est pour avouer ses dettes et sa gratitude ; ce n’est pas pour dresser des barrières entre lui et les siens. Il a conscience du fossé qui peut séparer la culture par les livres et la vie des hommes. »

  • Lucien Guissard, « Carnets du vieil écrivain », La Croix, 1er novembre 1971.

 

Guth Paul (1910-1997), romancier et essayiste français. Il fut président de l'Académie des provinces françaises.

Dans son pamphlet, cet ancien professeur de français dénonce la trahison dont la France est victime, frappée par « les taupes, entendons la partie des élites qui sape le pays dans ses assises politiques mais aussi culturelles ». L’auteur est évidemment sensible, dans ce domaine, aux attaques dirigées, dans le système éducatif, contre le grec et le latin. Il raconte (p. 69) « l’angoisse que [lui] causaient, dans Le Figaro, les chroniques d’un de [ses] anciens professeurs du stage d’agrégation, le fils d’un cordonnier breton ». Nul besoin de s’interroger longtemps sur l’identité de ce chroniqueur, puisque Paul Guth continue : « Théoricien de gauche, il se croyait obligé de cribler de sarcasmes le latin, ‘‘trésor des mandarins’’. À la forge de mon père, le mécanicien gascon, suant sous son bleu de travail, où était le mandarin ? Ce professeur devenu écrivain prétendait que le latin était un lierre qui étouffait l’arbre de l’enseignement du français. Si on arrachait ce lierre, le chêne du français prospèrerait pour les enfants du peuple ‘‘au grand soleil de Messidor’’. »

  • Paul Guth, Lettre ouverte aux futurs illettrés, Albin Michel, collection « Lettre ouverte », 1980.

 

Halévy Daniel (1872-1962), historien et essayiste français. Il avait mis en contact Jean Guéhenno et Louis Guilloux en 1927.

Dans un texte adressé au journal Rivarol, Daniel Halévy, évoque deux passages du Journal des années noires où paraît « un personnage énigmatiquement désigné par le chiffre X » et dans lequel il s’est reconnu. Il répond à Guéhenno : « Vos méchantes lignes, Guéhenno, ne sont pas des jugements qui m’atteignent, ce sont des saillies d’humeur qui éclaboussent les passants et, premier de tous, l’insulteur. Pénétré par les souvenirs où par vous je suis retourné, je me sens délivré de votre attaque… »

Ce texte est paru dans Rivarol du 4 janvier 1962 à l’occasion de la candidature de Guéhenno à l’Académie française : « Daniel Halévy démasque l’imposteur Guéhenno. »

 

Henriot Émile (1889-1961), poète, écrivain, essayiste et critique littéraire, élu à l’Académie française en 1945.

Il écrit dans Le Monde du 5 avril 1961 à propos de Changer la vie : « Je ne me souviendrai de ces retours sur une enfance douloureuse et sur une jeunesse difficile, que pour en admirer le courage, l’énergie à sortir du puits, la poésie dorée des bonnes heures rappelées, l’humaine sympathie, les formules heureuses et les intelligentes analyses.[…] Il a reconnu que dans ce monde cruel, impitoyable, où l’intérêt tient si durement tant de place, il pouvait y avoir aussi de la grâce, de la gentillesse, et même chez certains de la tendresse… »

 

Hyvernaud Georges (1902-1983), écrivain connu pour ses deux récits, Le Wagon à vaches (1953) et surtout La Peau et les Os (1949).

« Qu’est-ce que cela vaut la culture ? Qu’est-ce que cela pèse ?... Je me rappelle ce garçon qui me disait un jour : on m’a mystifié ; on m’a fait faire des études pour que je devienne un monsieur ; et maintenant ça y est, me voilà avec des tas de diplômes ; on me promet un bel avenir ; mais quand je pense à mon père qui est menuisier, et à tout ce que mon père sait faire avec ses mains, eh bien, voyez-vous, ça me dégoûte d’être devenu un monsieur. »

  • Georges Hyvernaud, Voie de garage (1941-1944), prés. Andrée Hyvernaud et Guy Durliat, Société des Lecteurs de Georges Hyvernaud, Verrières-le-Buisson, 2005. 

Les Carnets d’Oflag (1999) comportent la note suivante (au début de 1942) : « Le cas Guéhenno. Et ce garçon qui avait honte en pensant à tout ce que son père savait faire avec ses mains. »

 

« Ceux qui ont pris dans la vie le même départ que moi, garçons et filles du quartier Saint-Roch, je ne puis partager avec eux mes philosophes et mes poètes. Entre eux et moi, il y aura désormais Baudelaire et Rimbaud, il y aura Pascal et Nietzsche. Pour ne pas sentir la gêne de cette rupture il faudrait une âme de qualité bien médiocre. Gêne de porter, parmi les sous-alimentés de la culture, un cerveau bien nourri et gras, indécent comme un ventre. J’éviterai d’écrire là-dessus des phrases éloquentes (à la Guéhenno) et de convertir en littérature une inquiétude honorable. Il suffit que cette inquiétude existe. »

  • Georges Hyvernaud, Voie de garage (1941-1944), prés. Andrée Hyvernaud et Guy Durliat, Société des Lecteurs de Georges Hyvernaud, Verrières-le-Buisson, 2005.

L’écriture de ce fragment est datable par une lettre de Georges Hyvernaud à (espace)Andrée Hyvernaud du 29 novembre 1942. Il ne faut pas prendre cet extrait comme une attaque en règle contre Guéhenno mais plutôt contre un état d'esprit, un climat auquel l'influence de Guéhenno est associée.

« Pour Jean Guéhenno qui disait dans un de ses premiers ouvrages (Conversion à l’humain) : "on voudrait n’écrire que des livres exaltants, et qui aident à vivre. Oui on voudrait… » 

  • G. Hyvernaud, 5 décembre 1960 ».

Dédicace pour Le Wagon à vaches (1953) à son compagnon de travail de la collection de manuels  « Plaisir de lire » d’Armand Colin. 

À propos de la relation Georges Hyvernaud-Jean Guéhenno, Guy Durliat, Société des Lecteurs de Georges Hyvernaud, dans son article « Georges Hyvernaud-Jean Guéhenno : de Conversion à l’humain au Plaisir de lire », paru dans les Cahiers Jean Guéhenno n° 3 (novembre 2012), évoquait la déception de Georges Hyvernaud qui « attendait plus d’un travail commun avec Guéhenno, qu’il eut souvent du mal à rencontrer, et qui parfois ne le suivait pas dans ses choix d’auteurs contemporains. »

« Son dernier ouvrage [Changer la vie] nous apporte des raisons nouvelles d’aimer Jean Guéhenno : il n’est pas de ceux qui se dérobent et trichent ; il ne consent point à ces ruses d’esprit qui vous donnent bonne conscience. »

  • Georges Hyvernaud, L’École et la vie, n° 9, 1961.

Jullian Marcel (1922-2004), dialoguiste, écrivain, réalisateur, scénariste et homme de télévision français. Il fut l'un des fondateurs de la chaîne de télévision Antenne 2.

« Perdu dans Apollinaire, je me heurte presque à Jean Guéhenno […] Là, il m’a vu, a traversé la rue et, d’emblée, les yeux inquiets derrière ses lunettes, il m’a dit, tout à trac : Vous êtes malheureux, hein ? Pourquoi ? En aucune circonstance, je n’aurais si piètrement mordu à l’hameçon de la fraternité, car c’était elle. Il me tient par les épaules comme s’il m’avait sorti de la Seine. En deux mots, je dis mes désarrois et je confesse ma violente envie de démissionner de mes postes de PDG d’édition, une activité qui me paraît se tromper de chemin. L’indignation lui monte au visage. " Vous n’avez pas le droit, absolument pas ! Surtout dans les circonstances que vous venez de me confier. Démissionner c’est céder la place à un autre et, selon toute vraisemblance, il sera plus bête, plus malhonnête  ou plus fasciste que vous… (étrange amalgame !) C’est comme si vous aviez décidé vous-même d’installer un imbécile, un chenapan ou une crapule dans votre fauteuil. Cela ne ferait qu’accélérer ce que vous craigniez. Lourde responsabilité, Jullian, dont on aura le droit, un jour de vous demander compte. Vous ne le ferez pas ? C’est promis ? " Il me serrait contre lui, me secouait, me grondait paternellement, puis, comme j’acquiesçais d’un mouvement de tête désenchanté, il m’entraîna :" venez on va boire un verre dans un café, entre bons camarades…" ».

  • Marcel Jullian, Le temps qui passe, Albin Michel, 2002.

Jullien Claude-François, journaliste né en 1935. Il a été le premier journaliste à rencontrer Guéhenno après son élection à l’Académie française.

« L’histoire du nouvel académicien est celle d’une double fidélité, à l’Esprit, à la Vérité et en même temps aux hommes victimes de l’Injustice. Ce n’est pas un révolutionnaire, mais un témoin révolté qui ne se laisse pas enfermer dans les structures qui lui sont imposées, mais les fait évoluer. »

  • Claude-François Jullien, « Une rencontre avec Guéhenno… », Témoignage chrétien, 2 février 1962.

Kanters Robert (1910-1985), écrivain, critique et directeur littéraire 

« L’édition des textes posthumes de Jean Guéhenno nous donne l’occasion de lire une étonnante galerie de portraits et de retrouver un socialiste humaniste déjà opposé à la montée vertigineuse des totalitarismes. […] [Ce] recueil qui vient de paraître, Entre le passé et l’avenir, [est celui] d’un esprit singulièrement vivant et présent à notre mouvement des idées. Universitaire et passionné de culture populaire, Guéhenno était alors directeur de la revue Europe, née des espérances d’écrivains de tous les pays après les hécatombes de la guerre. Il consacrait sa chronique moins à des livres qu’à des hommes, et il les choisissait bien. […] Guéhenno abandonna la direction d’Europe quand le contrôle de la revue passa à des banques soviétiques. La démoralisation de ce socialisme français par les prétentions scientifiques du socialisme marxiste est un événement capital dont nous sentons encore les conséquences. […] Guéhenno, dont les cendres ont été dispersées sur l’océan, pouvait comme Claudel-dont tout le séparait-prendre pour devise non "la terre et les morts", mais "la mer et les vivants". »

  • Robert Kanters, « Jean Guéhenno : le socialisme à visage littéraire », Les Nouvelles littéraires, 28 février 1980.

Léautaud Paul (1872-1956), écrivain, critique dramatique français. (Voir aussi Benda, Julien) 

« Il y a un nommé Guéhenno qui sévit dans notre maison. […] Guéhenno, cette espèce de…plus que démagogue. […]  Pour moi, c’est embêtant à vomir. »

  • Conversation entre Paul Léautaud et Julien Benda enregistrée en 1950, archives radiophoniques.

Leclant Jean (1920-2011), orientaliste et égyptologue français, élu en 1983 à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

En réponse à la question de Patrick Bachelier : « Si vous deviez le définir, ou du moins son tempérament, quels sont les mots qui vous viendraient à l’esprit ? » :

« Passionné. Mais pas par l’histoire, matière que j’avais choisie. Il me définissait l’École normale comme un "pourrissoir" qui  transformait l’intellectuel. Il m’invitait à me méfier de l’érudition, il considérait que c’était un refuge facile. Il me déconseilla le choix que j’avais fait en choisissant une carrière d’historien. Considérant l’histoire comme matière négligeable, peu utile à notre société. Néanmoins, je pense que je lui apportais l’air extérieur, l’ouverture d’un autre monde. »

  • Entretien avec Patrick Bachelier, secrétaire des Amis de Jean Guéhenno, 15 décembre 2000.

Le Men Yvon (né en 1953), écrivain dont l’œuvre poétique comporte plus d'une trentaine de recueils.

« La préface n’avait pas empêché Jean Guéhenno de se pencher sur mes poèmes avec bienveillance et de me proposer de les échanger avec ses souvenirs. Il parlait un français que seuls certains étrangers pratiquent. Il parlait comme un livre, un livre d’avant-guerre. On voyait ses imparfaits du subjonctif venir de loin et amorcer leur virage avec une souplesse et une précision incroyables. Aucun temps ne se perdait en route. Je tentai de le suivre et me plantai entre le conditionnel et le futur antérieur. Je n’avais jamais entendu une langue aussi belle. Ni aussi décalée. »  

  • Yvon Le Men, Si tu me quittes, je m’en vais, Flammarion, 2009.

Le Quintrec Charles (1926-2008), écrivain et poète

 « L’auteur de  L’Évangile éternel  et de La Mort des autres a toujours voulu dire non à ce qui dans sa jeunesse était encore considéré comme immuable. Non à l’acceptation et au silence de la pauvreté ; non à l’exploitation de l’homme par l’homme ; non aux superstitions, aux guerres, aux malheurs, aux mensonges ! Mais, en revanche, oui à la dignité, individuelle et collective ; oui à la révolution qui doit transformer la planète…C’est le plus extraordinaire professeur de lucidité et de courage qu’il m’ait été donné de rencontrer. » 

  • Hommage à Guéhenno, Ouest-France, septembre 1978.

Par contre, Le Quintrec reproche à J. Guéhenno, lors de leur rencontre en 1962 dans les jours qui suivirent son élection à l’Académie française, de ne pas s’être intéressé à lui : « Il ne m’a pas demandé si, moi aussi, j’avais eu mal dans mon enfance. Il ne m’a posé aucune question ni sur ma situation, ni sur ma famille, ni sur mes universités buissonnières. Durant tout notre entretien, il fut parfaitement incurieux de ma personne. Ma réputation de poète en était cause. Comme son maître Renan, il n’a jamais su l’art des vers, pas même pour plaire aux filles de son adolescence. »

  • Charles Le Quintrec, Des matins dans les ronces, Albin Michel, 1980, p. 205.

Lévy Bernard-Henri (né en 1948), écrivain, philosophe, cinéaste, romancier, essayiste, dramaturge, homme d’affaires, intellectuel et chroniqueur

Dans sa biographie de Jean-Paul Sartre, il rend hommage au comportement de Jean Guéhenno pendant les « années noires » : « L’humaniste de “gauche” ridiculisé dans La Nausée a donné à toute l’intelligentsia une leçon de dignité. » 

  • Bernard-Henri Lévy, Le Siècle de Sartre, Grasset, 2000, p. 379.

Leymarie Michel (né en 1951), historien français, agrégé de Lettres modernes et docteur en Histoire

« Jean Guéhenno apparaît bien comme un de ces professeurs représentatifs de la IIIe République, un exemplaire médiateur culturel et politique. […]. Jean Guéhenno fut bien de ces "assez bons serviteurs de la justice et de la liberté", citoyen actif et enseignant passionné, à la fois clerc dans la cité et professeur en République. »

  • « Jean Guéhenno et l’enseignement », in Actes du colloque organisé du 2 au 4 mai 1990 à l’Unesco à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Guéhenno.

Malaparte Curzio (1898-1957), écrivain, cinéaste, journaliste, correspondant de guerre et diplomate italien. Il est surtout connu en Europe pour deux ouvrages majeurs : Kaputt et La Peau.

« Guéhenno est un homme au visage fin et pensif, au regard clair et embué, au front lumineux et délicat : un vrai enfant de la Bretagne, où se distingue je ne sais quelle trace d’une folie implacable et tourmentée, qui est caractéristique des gens de chez lui. Et je me suis toujours étonné, en observant son visage régulier et distrait, en écoutant sa voix tranquille et égale, qu’un homme d’aspect et de mœurs aussi doux, fût agité de pensées et de passions aussi violentes, de certitudes aussi impitoyables, de pulsions aussi combatives. »

  • Curzio Malaparte, Corriere della Sera, 26 janvier 1935 (à propos du Journal d’un homme de quarante ans).

Malraux André (1901-1976)

« Jean Guéhenno et le directeur d’Europe se confondent à l’occasion. Sa modestie paraît ici plus que sa fermeté, qui n’était pas moins grande. La première vient de sa recherche la plus opiniâtre : " Montrer que l’âme d’un pauvre homme, comme celle du plus grand artiste, peut contenir tout l’infini. " Je me souviens d’avoir écrit alors que j’y trouvais le sourd écho de la réponse de Nietzsche, à qui l’on demandait " ce qui est le plus important ", " Épargner à tout homme la honte ". Guéhenno possède le grand talent de limiter son intransigeance à l’essentiel ; il lui suffit qu’Europe garde sa couleur. Et les lettres où Romain Rolland l’encourage, sont parmi les plus fraternelles que je connaisse…Mais l’essentiel n’est pas simple. ». 

  • L'Indépendance de l'esprit, correspondance entre Jean Guéhenno et Romain Rolland, 1919-1944, préface d’André Malraux, Albin Michel, 1975.

Marchand Jean-José (1920-2011), critique d'art, de cinéma et de littérature

Il écrit dans Le Courrier de la Nouvelle République du 15 avril 1961 à propos de Guéhenno et de Changer la vie : « Il  analyse cette extraordinaire humilité des pauvres d’avant 1914, qui a aujourd’hui presque totalement disparu. Il se demande si, avec l’humilité quelque chose d’essentiel n’a pas été perdu. Comment ne pas constater ici que Jean Guéhenno a subi, beaucoup plus qu’on ne l’imagine lui-même l’empreinte de son éducation chrétienne ? Il s’en est aperçu et a noté :"Je ne serai jusqu’au bout, et quelles que soient mes vantardises, qu’une bête pieuse". »

  • « L’expérience humaine : Jean Guéhenno, Changer la vie, mon enfance et ma jeunesse », repris dans Écrits critiques 1941-2011, volume III, édition établie, présentée et annotée par Guillaume Louet, éditions du Félin & Claire Paulhan, 2012.

Massé Ludovic (1900-1982), romancier libertaire catalan d'expression française

« La littérature prolétarienne étant de tous les temps et non un phénomène circonscrit à un siècle, à plus forte raison à une ou deux décades […], Virgile est un écrivain prolétarien et paysan au même titre que M. de Pesquidoux (oui !) » 

Pour Pierre Bardel, le 2 novembre 1967, Ludovic Massé brosse une petite fresque illustrée « de preuves et d’exemples… sur les renégats de la littérature prolétarienne. Dabit trop sincère pour être sincère… communisant, énérèfisant, Giono plus femelle que mâle, plus arriviste qu’arrivé, Marc Bernard et Guilloux, qui se sont égarés avant de se retrouver, Chamson et Guéhenno forçats de l’ascension et du prêche… 

Á Poulaille, il envoie le 15 novembre 1967, un compte-rendu sur sa correspondance avec Bardel : « Á ce dernier j’ai longuement parlé et même écrit, moins de littérature prolétarienne que de renégats de cette littérature. Une fricassée de Guéhennos, Chamsons, Gionos… »

  • Bernadette Truno Ludovic Massé, Un aristocrate du peuple (condensé de sa thèse, Mare Nostrum, 1996).

Matignon Renaud (1935-1998), écrivain et journaliste français qui a travaillé notamment au Figaro et au Figaro littéraire. Prix Richelieu 1996.

« La sagesse des nations vante la foi du cordonnier : foi naïve et simple, peu embarrassée de subtilités dialectiques, mais aussi, dit-on, la plus profonde et la plus sûre. M. Guéhenno ne semble pas de cet avis. Professeur, homme du peuple et académicien, M. Jean Guéhenno croit aux idées et aux livres, à la culture et à la dignité humaine, bref M. Jean Guéhenno est détenteur d’un message. Ce message, il le livre aujourd’hui. C’est son acte de foi, son testament spirituel. Cela  s’appelle Ce que je crois. C’est la pensée d’un homme de pensée, l’inquiétude d’un homme d’inquiétude, l’enseignement d’un professeur de vie, à l’usage des naïfs et des cordonniers, avides de comprendre et de savoir. […] Ce que croit M. Guéhenno ? On a quelque peine à le définir... On cherche ce qu’il pense. On ne le trouve pas. On a l’impression qu’il ne pense rien, et ce n’est peut-être que par modestie. […] M. Guéhenno s’excuse dans son petit livre d’être quelque peu infidèle à sa condition première. "Je suis devenu un intellectuel", dit-il. Je le trouve sévère pour lui-même. Qu’il se rassure : parler aussi spontanément, dire une conviction si naïve et si vraie, ce n’est pas si retors. […] Au siècle des grandes tentatives héroïques et totalitaires, M. Guéhenno parle de gentillesse et de compréhension. C’est le langage des simples. »

  • Renaud Matignon, « Jean Guéhenno, la foi du cordonnier », Arts, 11 au 17 mars 1964.

Maulnier Thierry (Jacques Talagrand) (1909-1988), écrivain français et éditorialiste engagé, passé de L'Action française au Figaro, élu en 1964 à l'Académie française

« M. Jean Guéhenno vient d’écrire le Journal d’un homme de quarante ans. Il nous paraît difficile qu’un esprit bien fait endure la lecture de ce Journal sans quelque pitié et sans quelque révolte. Non que ce livre soit sans talent, ou se lise avec ennui. Mais on y découvre un si insistant étalage des souffrances de M. Jean Guéhenno, une tendance si ingénue à juger le monde d’après ces souffrances, une confusion si constante entre le sens du monde et le sens de la destinée de M. Guéhenno, qu’on en reste stupéfait.[…] Mais qu’au lieu d’affranchir ses convictions politiques et sociales de ses propres épreuves, de ses souffrances et de ses joies, qu’au lieu de tenter le difficile effort de ne point tirer ses conclusions idéologiques d’échecs  ou de réussites strictement personnels, M. Guéhenno semble se glorifier, au contraire, de ce que son jugement dépende aussi étroitement de ce qu’il fut, de ce qu’il est, c’est là que nous voyons le scandale. M. Guéhenno semble incapable de la moindre démarche de pensée objective. Il ne conçoit la pensée que comme moyen de commenter, d’accuser ou d’améliorer son propre destin, et, par suite, des destins analogues. Est-il donc incapable de s’oublier jamais ? […] C’est volontairement qu’il entend substituer, à l’exercice d’une pensée assez libre pour résister aux passions et aux préventions personnelles, fût-ce au prix du plus héroïque effort, une philosophie fondée sur des souvenirs d’usine, comme d’autres fondent la leur, sans doute, sur une déception amoureuse ou sur une maladie d’estomac. »

  • Thierry Maulnier, « Le Bilan de M. Jean Guéhenno », La Revue universelle, tome LX, n°19, 1er janvier 1935, pp. 116-120.

Mauriac François (1885-1970), Grand prix du roman de l'Académie française en 1926, élu à l'Académie française en 1933, prix Nobel de littérature en 1952

« […] Je cours au Pont-Royal où Jean Guéhenno mon filleul académique, reçoit la belle épée dessinée par Coutaud. Quelque mal que vous pensiez de l’Académie, dans une vie exemplaire comme celle de Guéhenno, elle apporte une consécration irremplaçable. Le petit ouvrier breton qui, par la puissance de son esprit et par sa persévérance, est devenu ce maître éminent, ce haut fonctionnaire, et surtout cet écrivain, dessine sous nos yeux une image d’Épinal où la Coupole doit apparaître dans la dernière case. »

  • Le Figaro littéraire, 24 novembre 1962, repris in Bloc-notes III, p. 268.

Monot Alain-Gabriel, enseignant les lettres à l’université de Bretagne Occidentale et critique littéraire de la revue Hopala !, auteur, avec Patrick Bachelier, de Jean Guéhenno, collections Silhouettes littéraires,  Éditions La Part Commune, 2007.

« Professeur de haut vol, essayiste talentueux, journaliste engagé, Jean Guéhenno représenta l’honneur des lettres françaises des années 30 aux années 70. Il n’est plus guère lu. Il n’est pas inutile de rappeler la vie et l’œuvre de celui qui toujours voulut demeurer, selon les titres de quelques-uns de ses ouvrages, "sur le chemin des hommes", dans "les aventures de l’esprit", et "la foi difficile".[…] Aimant profondément son métier, jusque dans sa relative obscurité, le professeur Guéhenno sera, aux lycées de Lakanal, Henri IV et Louis-Le-Grand un maître inoubliable, talentueux, chaleureux, un admirable pédagogue.[…] Les années 30 seront pour lui une période d’intense activité intellectuelle. Professeur, essayiste, rédacteur-en-chef passionné… il est un des intellectuels de gauche incontournable de cette décennie. […] Les années d’après-guerre sont le temps de la consécration et des honneurs… L’ancien employé à vingt-cinq francs par mois devient académicien en 1962… Seuls les événements de mai 1968 paraissent le prendre de court… À 78 ans, il n’est visiblement plus en phase avec la jeunesse…Pourtant, les Carnets du vieil écrivain, publiés en 1971, sept ans avant sa mort, seront l’occasion de revenir une fois encore sur les thèmes : justice, émancipation par l’étude, grandeur de la lecture, qui lui ont toujours servi de lampe d’argile "sur le chemin des hommes". »

  • Alain-Gabriel Monot, Géographie littéraire de Bretagne, 35 écrivains et 150 années d'écriture, 1870-2020, Ouest-France, 2020

Niogret Philippe, ingénieur et docteur ès-lettres. Membre des Amis de Jean Guéhenno, il a établi le texte, avec le concours de Patrick Bachelier et de Jean-Kely Paulhan, de La Jeunesse morte, Claire Paulhan, 2008.

« Tout Guéhenno est déjà dans cette œuvre de jeunesse : l’émerveillement que lui ont procuré les livres, les joies de l’amitié, la culture qui lui a fait découvrir un monde nouveau mais qui l’a éloigné du peuple, les horreurs de la guerre et la mission dont il s’est senti investi de tout faire pour éviter une nouvelle guerre. Lui qui croyait tant à la puissance des livres, le grand échec de sa vie aura été de constater leur impuissance à peser sur les événements. »

  • Philippe Niogret, « Une jeunesse morte », in Jean Guéhenno, guerres et paix, Presses Universitaires du Septentrion, actes du colloque du 14 et du 15 novembre 2008 organisé par l’Université de Paris III. Ouvrage édité par Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux. 

Nohain Jean, dit « Jaboune » (Jean Marie Pierre Étienne Legrand) (1900-1981), animateur et parolier français qui fait partie des pionniers de la télévision française.

« Maître, c’est bien un titre que mérite Jean Guéhenno : à cause de son œuvre immense, magistrale, justement. Et puis parce qu’il a été, pendant plus de trente ans, pour des centaines d’élèves qui ne l’oublieront jamais, un incomparable professeur, un vrai maître. »

  • Jean Nohain, portrait de notre temps : « Jean Guéhenno, Le petit chaussonnier breton devenu académicien », Notre temps, décembre 1972, n° 49.

Nourissier François (1927-2011), journaliste et écrivain, membre influent de l'Académie Goncourt

« Les cent quatre-vingt-dix pages de Ce que je crois sont vouées à une ferme humilité. On y traite la vérité comme une honorable compagne de route. On y analyse les composantes intellectuelles, politiques, spirituelles de la belle aventure contée dans Changer la vie. Les dizaines de milliers de lecteurs qui se sont retrouvés dans ce livre chercheront dans Ce que je crois la clé de leur propre mystère. Ils y découvriront ce qu’il peut y avoir de courage et de fierté, dans une société qui vante les singularités les plus fallacieuses, à être jusqu’au bout ce que Jean Guéhenno, sereinement, appelle "un homme de série" ».

  • François Nourissier, Le cycliste du lundi, Éditions La Grande Ourse, 2012, pp. 212-214.

Ory Pascal (né en 1948 à Fougères), historien. Orientant ses recherches vers l'histoire sociale de la France au cours de l'époque contemporaine, à travers son histoire politique et son histoire culturelle, il est professeur émérite d’histoire contemporaine à l'université Paris Panthéon-Sorbonne.

« Les textes réunis ici témoignent avec justesse et justice de l’activité de celui qui, sept années durant, fut à la revue Europe, plutôt qu’un simple rédacteur en chef, une sorte de maître d’œuvre. C’est cet engagement pour ces fameux "droits de l’homme", qu’on redécouvre ces jours-ci, qui le conduisit  ̶  lisons les textes  ̶  à prendre la tête d’une pétition pour le Viêt-Nam   ̶  déjà, encore   ̶  ou à être, en 1936, le premier écrivain français à s’interroger publiquement sur les procès de Moscou. » 

  • Préface d’Entre le passé et l’avenir, Grasset, 1979.

Ouliac André (1921-2009), instituteur de l'Aude, secrétaire national puis secrétaire général du Syndicat national des instituteurs, enfin du SNI-PEGC, de 1969 à 1975

« Je l'ai revu et lui ai serré Ia main pour la dernière fois en janvier 1978 lors des obsèques de notre camarade Denis Forestier. ll y assistait, perdu dans la foule, quasi incognito, marqué par la fatigue et la souffrance ; mais il avait tenu à cette présence non pour sacrifier à un rite, une coutume ou simplement à l’amitié, mais parce que Denis avait été pour lui, comme pour nous tous, le symbole de ce que .pouvait devenir et réaliser un instituteur directement concerné par la réalité quotidienne, au service de l'espérance des hommes. Modeste et effacé, il voulait   ̶   ici encore   ̶   témoigner de son idéal et de sa foi. Car... " cet agnostique était un homme de foi " a-t-on lu fréquemment dans la presse, ces derniers jours. N’est-ce pas le plus bel hommage rendu à cette conception de la laïcité qui est nôtre et que nous partageons avec certains des plus grands esprits de ce temps ? »

  • André Ouliac, Notes et souvenirs  [couvrant une période de 1938 à 1977], L’École libératrice, n°4 ; 6 octobre 1978, pp. 176-177. 

Paulhan Jean (1884-1968), écrivain, critique et éditeur français

Peu après l'entrée de Jean Guéhenno à Europe :

« Il a de très grandes qualités morales, comme l'on dit, des idées nobles, je veux dire désintéressées (qui s'appliquent surtout au développement et à l'instruction du peuple dont il sort lui-même et qu'il voudrait à la fois très bien instruire  ̶  et instruire un peu d'autre façon que suivant la culture de " classe " bourgeoise, pense-t-il, que l'on reçoit aujourd’hui dans les lycées) ; (ou bien : qui ne serviraient son intérêt à lui-même qu'indirectement, et comme porteur de ces idées). Avec cela soucieux cependant de faire servir la littérature (chez ceux-là mêmes qui s'en contentaient). Je pensais que sur ce point il pourrait avoir plus d'une déception et se verrait conduit sans doute à choisir pour lui-même un mode d'action plus direct (par exemple à devenir orateur politique). Arrivé là   ̶   et sans avoir eu à aucun instant le sentiment que je pensais mal de Guéhenno ou qu'en quelque façon je pensais contre lui  ̶   je supposai brusquement que l'on avait dû penser de moi exactement de la même façon, faire les mêmes réflexions sur mon entrée à la N.R.F  ̶  non pas nécessairement hostiles, c'était pire : bienveillantes de cette sorte de bienveillance qui tient les gens pour " arrêtés ", pour finis, qui les pèse et les mesure. ». 

  • Jean Paulhan, La Vie est pleine de choses redoutables, Seghers, 1989, p. 252

« Parfois, je vous en veux de tant vous souvenir. […] Vous fâcherai-je si je vous dis qu’il y a bien du charme, qu’il y a un charme terriblement prenant dans ce que vous écrivez – que peut-être ne l’ignorez-vous pas tout à fait. Que sans doute ce charme est-il la preuve qu’il y a du moins un plan où vous êtes sans mémoire… »

  • Jean Guéhenno, Jean Paulhan, Correspondance 1926-1968, 6 septembre 1937, Gallimard, 2002

Piatier Jacqueline (1921-2001), journaliste et critique littéraire, fondatrice du Monde des livres. Jean Guéhenno a écrit  ses derniers articles dans Le Monde, après sa rupture avec Le Figaro de Robert Hersant.

« C’était un homme du “ Ce que je crois”, l’homme d’une foi qui ne cesse de s’interroger sur elle et sur l’authenticité de sa conduite par rapport à elle, une foi laïque qui reposait tout entière sur l’homme, sur ses capacités d’améliorer son sort, de conquérir sa liberté, de faire régner la paix, à condition… À condition qu’on lui en laisse les moyens. »

  • Le Monde, 22 septembre 1978.

Phocas Paul, auteur de la thèse soutenue en 1998 : Prospero chez les jeunes calibans ou Jean Guéhenno dans les ouvrages didactiques (1935-1990)

« C’était un homme de courage, de fidélité et de générosité. Il aurait pu se contenter de changer sa vie. Il a essayé de changer la vie des autres. » 

 « Les manuels rendent possible la mission de l’écrivain-professeur en servant son projet humaniste et en réalisant sur les bancs de l’école, ne serait-ce qu’un moment, ce qui semblait être une impossible synthèse : l’union, par la culture, de Caliban et Prospero. C’est peut-être ainsi que se dénoue, de façon inattendue, le drame de sa vie d’intellectuel. [] En étant entré dans " l’Académie universitaire ", où il vit dans l’esprit de la jeunesse, Jean Guéhenno est bien, si je puis dire, devenu une seconde fois immortel. »

  • « L’image de Jean Guéhenno dans les manuels scolaires », in Actes du colloque organisé du 2 au 4 mai 1990 à l’Unesco à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Guéhenno.

Pomeau René (1917-2000), spécialiste de la littérature française du XVIIIᵉ siècle, des Lumières, et de Voltaire en particulier, président fondateur de la Société française d'étude du dix-huitième siècle, dont Guéhenno était président d’honneur.

« Nous n’avons pas oublié la séance de notre colloque pour le Bicentenaire de Voltaire et de Rousseau, le 4 juillet après-midi. Jean Guéhenno avait clos la discussion. Combien demeurent actuelles, nous disait-il, les leçons de l’un et de l’autre : Voltaire enseignant la liberté, Rousseau élevant la revendication permanente de l’égalité et de la justice. Jean Guéhenno parla longuement, avec l’ardeur de conviction qui était en lui. Or il faisait là son ultime intervention publique. Nous la lisons aujourd’hui comme son testament. L’effort, on le sait, ébranla un organisme devenu fragile. Le malaise qui le frappa à la sortie de la séance s’aggrava vite. Après avoir lutté plusieurs semaines, Jean Guéhenno décéda le 22 septembre 1978. […] Nous sentons aujourd’hui combien Jean Guéhenno nous manque. Les êtres que l’on perd, on se reproche de n’avoir pas été assez près d’eux, d’avoir négligé de recevoir tout ce qu’ils pouvaient nous donner. La réserve à l’égard d’un maître nous retenait. Et aussi l’illusion que le recours à lui demeurerait indéfiniment ouvert. « On le savait là, et on éprouvait quelque sûreté » : cette remarque de Jean Guéhenno à propos de Roger Martin du Gard valait pour lui-même. On connaît le mot de Diderot : « On ne parle avec force que du fond de son tombeau» Jean Guéhenno a parlé " avec force " de son vivant, lui si vivant. Après lui, ses livres où le meilleur de lui témoigne, continueront à nous parler, avec la même " force ", et longtemps. »

  • Note biographique de René Pomeau in Dix-huitième siècle, n° 11, 1979. L’année 1978.

Racine Nicole (1937-2012), historienne, directrice de recherches à la Fondation nationale des Sciences politiques, spécialiste d'histoire intellectuelle

« La conception de l’engagement que Guéhenno incarne, fait de fidélité à ses origines populaires, nourri des valeurs d’un humanisme individuel et du refus d’une orthodoxie de parti, le rapproche d’un Louis Guilloux ou d’un André Chamson. »

  • « Jean Guéhenno dans la gauche intellectuelle de l’entre-deux-guerres », in Jean Guéhenno, guerres et paix. Presses Universitaires du Septentrion, actes du colloque du 14 et du 15 novembre 2008 organisé par l’Université de Paris III. Ouvrage édité par Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux.

Ragon Michel (1924-2020), écrivain, critique d'art, critique littéraire et historien de l'architecture. Autodidacte et libertaire, il s'intéressait en particulier à la littérature prolétarienne et à l'histoire de l'anarchisme.

« Je souhaite que tous ceux parmi nous qui consacrent leur adolescence à se rendre forts de culture pour pouvoir briser les chaînes du sang où ils sont nés ; je souhaite que tous ceux-là qui sont "parvenus" à se rendre les égaux des fils de bourgeois, connaissent, avant qu’il ne soit trop tard, les livres de Jean Guéhenno.[…] Ce livre [Journal d’un homme de 40 ans] écrit avec cœur, retrace l’enfance pauvre mais non misérable, de ce fils de cordonnier d’une petite ville de Bretagne ; son adolescence d’intellectuel, d’abord autodidacte puis normalien. Enfin, pour ses vingt ans, c’est la guerre. Cette guerre, Jean Guéhenno, comme tous ceux qui l’ont faite, en a toujours conservé des stigmates qui tachent ses écrits d’une trace sanglante. »

  • Michel Ragon, Les écrivains du peuple, préface de Lucien Descaves, Éditions Jean Vigneau, 1947, [Jean Guéhenno, pp. 154-159].

Rioux Jean-Pierre (né en 1939), historien, spécialiste de l'histoire contemporaine de la France, notamment d'histoire politique, culturelle et sociale, président d’honneur des Amis de Jean Guéhenno

« “Mon ” Guéhenno est d’abord un choc de jeunesse, quand j’ai découvert un fils du peuple, comme moi, qui s’était fait " voleur de feu " de la culture, qui souhaitait conjuguer toute sa vie le mot peuple  et le mot culture” ».

  • Entretien avec Éric Chopin, Ouest-France, novembre 2005.

« Par nos temps angoissés, pourquoi ne pas lire Jean-Guéhenno (1890-1978), l’oublié aux bouquins introuvables ? Son humanisme est rance, sa morale civique d’un autre âge, et André Gide a osé dire un jour qu’il parlait du cœur comme d’autres parlent du nez. Et pourtant, il parle encore ! Car l’enfant d’un ouvrier de Fougères qui, atteste-t-il dans Changer la vie. Mon enfance et ma jeunesse [Grasset, 1961], avait entendu Jean Jaurès dire en 1906 aux grévistes, là-bas, qu’il fallait d’abord apprendre à lire le réel et à dire le vrai, le vieil antifasciste qui a tant salué le Front populaire, le vieux pédago, pour khâgneux sages, nous lance encore quelques apostrophes bonnes à prendre. »

  • Jean-Pierre Rioux, « Il faut lire ou relire Jean Guéhenno », Libération, 19 octobre 2016.

Rolland Romain (1866-1944), prix Nobel de littérature en 1915

« Cher Guéhenno. Merci de votre lettre. Je suis heureux de votre sympathie. Elle est à l’écho de la mienne. Il me semble qu’avec toutes les différences de nos deux générations, certaines forces essentielles qui nous mènent sont les mêmes. » 

  • Lettre du 3 juillet 1928

Dans cette lettre, Romain Rolland qui confirme qu’il n’écrira plus pour Europe, joue les visionnaires : « Je vois venir, avec certitude, un terrible ouragan qui ravagera toute l’Europe ; et la principale victime sera la France. Vous qui êtes jeune, vous vous souviendrez de ma prédiction. […] Vous êtes pur ; et la vie vous fera, avant mon âge, plus intransigeant que moi… Je reste votre ami qui vous aime sincèrement. » 

  • Lettre du 24 septembre 1930

Au sujet de la lettre ouverte sur « Les intellectuels et le désarmement » : « Cher ami, je vous serre la main, je vous dis bravo ! J’attendais cela de vous. C’est votre mission, c’est la voix profonde de votre nature. Écoutez-la, obéissez-lui sans broncher ! N’atténuez pas ! […] Soyez le témoin aux yeux ouverts dont la présence trouble le sommeil feint des lâches et des complices ! » 

  • Lettre du 3 mars 1932

Au sujet du Journal d’un homme de quarante ans, publié par épisodes dans la revue Europe : « Je veux vous dire tout de suite combien j’ai aimé ce début du Journal d’un homme de quarante ans. Il est d’une grandeur simple et émouvante. Vous avez bien réussi votre dessein de faire parler une génération en la destinée d’un homme. Le chant individuel se fait choral. L’émotion même de scènes, comme celle de la grève, de la maladie et de l’humiliation qui laisse au cœur la blessure de la défaite et la révolte, prend un caractère général. Vous avez trouvé, naturellement, le ton classique. – J’attends la suite avec confiance et affection. Vos pas sont sûrs. Vous avez écrit l’œuvre, à l’heure juste où l’on est maître de son passé, sans encore en être dégagé. » 

  • Lettre du 24 août 1934

Après le départ de Guéhenno de la revue Europe : « Mon cher ami, je suis confondu par cette nouvelle. Je ne pouvais imaginer qu’on vous laisserait ainsi partir ! Il est insensé de se priver d’une force comme vous. À moins qu’ils ne veuillent résolument faire d’Europe une revue politique – (et j’ai bien peur qu’elle ne soit, alors, à la remorque d’un parti) – on ne se sépare pas de vous, à un moment où vous avez conquis un grand crédit dans le monde littéraire de Paris ! Je me sens frappé aussi sur le même coup. Car je m’étais si bien habitué à penser tout haut avec vous, à m’associer de cœur avec vos travaux, avec tout ce qui se préparait par vous, à Europe, qu’il me semble que je suis congédié aussi de ma maison. » 

  • Lettre du 14 janvier 1936

Toutes ces lettres sont reproduites dans L’Indépendance de l’esprit, correspondance entre Jean Guéhenno et Romain Rolland, 1919-1944, préface d’André Malraux, Albin Michel, 1975.

Rouzé Michel (Korozcynski Michieslazc) (1910-2004), journaliste, collaborateur de revues proches du PCF ; fondateur de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS)

« Dans la brochette de collaborateurs distingués que Le Figaro offre régulièrement en pâture au snobisme de ses lecteurs se remarque un écrivain qui, s’il n’est ni membre de l’Académie française, ni ancien général nazi, possède cet autre titre apprécié par la feuille de M. Prouvost et de Mme Cotnareanu qu’il a été longtemps tenu pour un auteur progressiste. C’est M. Jean Guéhenno. […] C’est le même écrivain qui, chaque semaine ou presque que Figaro fait, y chante maintenant son couplet antisoviétique et anticommuniste, sur les modes mauriacien ou koestlérien. […] Or voici que par une chronique publiée le 26 août dernier [La pêche aux coques] , il a franchi la limite au-delà de quoi nulle secrète pitié ne peut même plus lui être donnée, puisqu’il se range très consciemment du côté des assassins.[…] Incapable désormais d’appréhender l’univers autrement que par ses métatarses, Jean Guéhenno ne se résout pas pour autant à se taire.[…] Celui qui dénonçait les crimes de "l’homme blanc" en Asie se fait le champion de la dernière expédition coloniale contre les peuples asiatiques ; il applaudit aux exploits des bombardiers qui arrosent  ̶   avec des coques sans doute  ̶   les villes et les villages de Corée. Celui qui saluait la révolution soviétique comme tout son espoir et toute sa joie, calomnie effrontément l’U.R.S.S. et brave l’évidence en écrivant qu’elle seule s’arme dans un monde pacifique. » 

  • « Jean Guéhenno, le pêcheur de coques », La Nouvelle critique, revue du marxisme militant, n° 20, novembre 1950.

Rudel Yves-Marie (1907-1984), écrivain français, journaliste et critique littéraire ayant tenu la rubrique littéraire d’Ouest-France de 1945 à 1972

« De tous les livres écrits par Jean Guéhenno, il n’en est pas de plus soigneusement écrit, de plus présent à notre inquiétude, ni de plus attachant pour des gens de l’Ouest que ces souvenirs d’enfance et de jeunesse rassemblés sous le titre de Changer la vie. […] Jean Guéhenno soupèse les actions de son passé. C’est à la fois un examen de conscience, un bilan, une remise en question de la valeur d’une vie. […] Ce n’est pas sans fracture de l’âme qu’on abandonne son milieu, sa croyance première, sa race, pour une ambition si légitime qu’elle soit. L’espèce d’inconfort qui en résulte témoigne-t-il d’une sournoise trahison bien plus qu’il ne traduit l’impossibilité, pour celui qui en souffre, de revenir parmi les siens aussi bien que de s’insérer dans la société de certains de ses pairs par l’esprit. L’honneur de Jean Guéhenno est de porter son débat devant tous sans ostentation ni dissimulation. »

  • Yves-Marie Rudel, « Changer la vie », Ouest-France, 24 mars 1961.

Saint Robert Philippe de (né en 1934), écrivain gaulliste, critique littéraire (Montherlant, Malraux, Mauriac)

« Le Journal d’un homme de quarante ans, écrit en 1933, par Jean Guéhenno, est une lecture qu’il est bon de redécouvrir en cette année où l’on fête le cinquantenaire de 1914. Jean Guéhenno n’est pas un monsieur à globules rouges ; il dit qu’il est heureux, mais il est triste. C’est une trace d’amertume et de désespoir qu’a laissée en cet homme la "guerre absurde". […] … Optimiste de raison quant à un avenir humain idéal, Jean Guéhenno demeure, en lui-même, amer et triste. […] Jean Guéhenno ne sort pas grandi de lui-même à cause de son intelligence du monde, qui est un peu courte, mais parce qu’il est bon, parce qu’il aime, parce qu’il s’en remet du monde à son propre désir de le transformer, et parce que cette ultime illusion sur soi et sur le monde sauve en quelque chose soi-même et le monde. »

  • Philippe de Saint-Robert, « Sur Jean Guéhenno », Combat, 25 décembre 1964.

Schumann Maurice (1911-1998), homme d'État, journaliste et écrivain, qui a rejoint le général de Gaulle à Londres dès juin 1940, porte-parole de la France libre, élu à l'Académie française en 1974

« Boursier exemplaire, patricien de l’entendement, Jean Guéhenno, Madame, n’a cessé d’être pour l’Académie un titre de noblesse, de cette “noblesse unique”, insensible aux morsures, que Baudelaire a chantée. Je lui dois, quant à moi, d’avoir mesuré l’écart qui sépare un dogmatisme personnel, auquel s’attache la vie, du fanatisme abstrait de la raison raisonnante. Puissions-nous être dignes de garder et de transmettre cette règle de conduite qu’il avait recueillie pour nous la léguer : "Il faut se comporter sérieusement avec ses rêves". »

  • Discours prononcé le 27 mars 1990 lors de l’inauguration de la plaque sur l’immeuble où Guéhenno a habité, rue Pierre-Nicole à Paris.

Seguin Henri, ancien président de l’Association des Amis et Anciens Élèves du Lycée Lakanal.

« Homme de lettres, journaliste hors du commun, au sens noble du mot, professeur spécialisé dans l’enseignement du français dans les classes de khâgne. Inspecteur Général de l‘Instruction Publique, Académicien, Jean Guéhenno bénéficie dans le cadre de notre vieux lycée d’une large auréole. […] Il n’était pas ancien élève de notre lycée, mais c’était un ami de Lakanal. Il a participé maintes fois à des réunions d’anciens ; la dernière fois ce fut peu de temps avant qu’il disparût, aux côtés du grand Maurice Genevoix. Tous deux, de personnalités très différentes, avaient été combattants de la Grande Guerre. »

  • Commémoration du centième anniversaire de « Jean Guéhenno, Lakanalien d'adoption », le 4 décembre 1990.

Sigaux Gilbert (1918-1982), professeur, auteur et traducteur français, prix Interallié en 1949 pour Les chiens enragés

« Changer la vie est un livre parfait, harmonieux, d’une langue sans défaut. Il prendra place avec le temps (pour nous la chose est faite) parmi les "éducations sentimentales", qui expliquent non seulement la formation d’un écrivain mais celle aussi d’une génération, d’un groupe humain. Si peu de goût qu’on ait pour les classements, les hiérarchies, il est difficile de ne pas mettre ce livre au premier rang dans l’œuvre de Guéhenno. […] Guéhenno a très consciemment vécu comme un homme de transition, d’opposition et de rupture, chargé en quelque sorte d’un héritage du XIXe siècle qu’il a voulu faire passer dans le XXe siècle. Rousseau, Michelet, Renan sont dans cet héritage. […] Le parti intellectuel auquel on peut rattacher Guéhenno se pose des questions qui ne passent pas d’abord par une théorie de l’intelligence. Il s’agit de notions vivantes, ou qu’il faut maintenir en vie : humanisme et culture. »

  • Gilbert Sigaux, « Œuvre de Guéhenno, reflet d’une aventure humaine », Livres de France, décembre 1964, n° 10.

Simon Pierre-Henri (1903-1972), intellectuel engagé, historien de la littérature, essayiste, romancier, poète et critique littéraire, élu à l'Académie française en 1966

« Si j’ajoute que la langue, nourrie aux grands auteurs, a pris la pureté et la force que donne la discipline universitaire, en conservant un accent spontané et sobre, sans nulle charge de pédantesque et avec la vibration retenue des beaux styles affectifs, on comprendra que l’Académie française, en choisissant Jean Guéhenno, a fait une grande élection. »

  • Pierre-Henri Simon, Le Monde, 26 septembre 1962.

« Ce qui singularise son dernier livre, c’est… un effort plus systématique pour dégager les lignes essentielles de sa personnalité et de sa philosophie, l’une et l’autre étant d’ailleurs en symbiose parfaite ; et ce qu’il offre de précieux, c’est un charme qui n’a pas besoin de se renouveler pour séduire : je veux dire cette rencontre d’une exceptionnelle qualité d’âme où il y a la probité intellectuelle, la cordialité de l’accueil, la richesse digérée, le sens tragique et optimiste à la fois de la condition humaine, tous ces fruits de nature et de civilisation se communiquant dans une langue absolument saine, solide sans lourdeur, claire sans sécheresse, cultivée sans pédantesque. » 

  • Pierre-Henri Simon, « Ce que je crois », Le Monde, 19 février 1964.

Thibaudet Albert (1874-1936), critique littéraire très apprécié de l'entre-deux-guerres, qui écrit pour La Nouvelle Revue française de 1912 à sa mort

Pour Albert Thibaudet, Jean Guéhenno est le modèle de ces hommes « poussés en avant » par l’histoire de France : « La ligne de votre vie devient une artère de la vie politique française ».

  • J.-K. Paulhan, « À nous deux, Culture ! », Cahiers Guéhenno n° 6, pp. 25-26, sur La République des professeurs, 1927, comme essai essentiel pour comprendre Guéhenno (lequel en reconnaîtra l’importance).

Tournier Michel (1924-2016), auteur entre autres de Vendredi ou la vie sauvage, Vendredi ou les limbes du Pacifique ou encore du Roi des aulnes

« Pour Jean Guéhenno qui en sept mots a épuisé toute la substance de Vendredi, en hommage amical. M. Tournier ». 

  • Dédicace pour Le Vent Paraclet, 1978.

Trogoff Aimé, marin originaire du Trégor qui travaillait chez Jean Tanguy, patron pêcheur. Il a emporté en mer les cendres de Jean Guéhenno à bord du bateau Notre Dame de Port-Blanc.

« Je le connaissais très bien. Un petit monsieur, costaud, avec des lunettes, très sympathique. J’avais 14 ans quand j’ai commencé la pêche et déjà il était très ami de mon patron, Jean Tanguy. C’était un homme de la terre et de la mer. Il adorait les pêcheurs. […] C’était un grand homme, très proche des gens qu’il connaissait. Quelqu’un de cultivé, discret, qu’on pouvait aborder facilement. Il ne faisait pas de différence entre riches, pauvres et tout ça… »

  • Yann André, « Rencontre : Aimé Trogoff se souvient de Jean Guéhenno. Le marin et l’écrivain », La Chronique républicaine, 6 novembre 2003.

Van Rysselberghe Maria (1866-1959), amie d’André Gide, surnommée « La Petite Dame », a tenu pendant 33 ans, de 1918 à 1951, et à l’insu de l’écrivain, un journal de témoignage sur lui, un journal parallèle.

« Je note seulement la fâcheuse intervention de Guéhenno qui fait une fois de plus une attaque violente contre les artistes occupés à cultiver leur différence au mépris de la communion humaine ; il cite Baudelaire, Rimbaud, et, emporté par la passion, il va jusqu'à les appeler des détraqués et leur oppose Hugo et cette citation : « Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui », qu'il avait prise déjà comme épigraphe à son dernier livre. De la part d’Hugo, il trouve cette déclaration d'une sublime humilité. Ici, Gide, qui n'avait pas parlé encore, dit que de la part de Hugo il trouve cette phrase assez  hypocrite […] Il admet difficilement de ne pas se sentir en accord avec Guéhenno, si sincère et si sympathique à travers tout, mais il faut bien constater que celui qui rejette l'autre de la communion, c'est Guéhenno, c'est chez lui qu'on sent le sentiment de classe ineffaçable, lui qui entretient cette différence. Je vois Gide qui lui parle chaleureusement à la sortie. »  (p. 451-452).

  • 7 juin 1935 : lors d'un débat à l'Union pour la Vérité auquel participent notamment André Gide et André Malraux :

« On entend successivement Forster, Benda, Musil, Brecht. Jean Cassou (discours plein, cohérent, un des meilleurs). Guéhenno qui ne devait pas parler ce jour-là répond à Benda — il a une éloquence de réunion populaire qui détonne ici, il paraît agité d'une violence truquée … » (p. 464).

« Est-ce Guéhenno qui lui succède [à Aragon] ? Peut-être. Nettement déplorable. Il parle en marchant, par saccades, comme en proie à des crises, avec une mimique de poings levés, et des arrêts propices aux applaudissements, à un point gênant. À le voir ainsi déchaîné on ne retrouve plus ni la discrétion ni une sorte de timidité qu'il semble avoir dans la vie ! Puis vient le tour de Malraux... » (p. 467).

  • 25-26 juin 1935 : lors du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture (21-25 juin 1935) :

Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la petite dame, pour l’histoire d’André Gide, tome 2 (1929-1937), Gallimard, 1974.

« J'ai lu (…) le Journal d'un homme de quarante ans  ̶  sympathique, oui, estimable, respectable  ̶  pensée sans force   ̶  poésie sans puissance   ̶  que ne restait-il dans le détail  ̶  dans le général, il est sans niveau. »

  • Lettre à  André Gide, 29 janvier 1935

André Gide, Maria Van Rysselberghe, Correspondance, 1899-1950, Les Cahiers de la N.R.F., Gallimard, 2016, p. 789. 

Wurmser André (Casimir Lecomte) (1899-1984), journaliste et écrivain communiste, jusqu’à la fin de sa vie défenseur inconditionnel de l’Union soviétique. Ce fut un point fondamental de désaccord avec Jean Guéhenno et cela se traduisit, au cours des années cinquante de la Guerre froide, par des polémiques âpres et souvent odieuses contre son ancien camarade de Vendredi.

« Jean Guéhenno était trop farouchement individualiste, trop intransigeant pour s’entendre sans réticence avec les communistes ou, plus simplement avec un parti. Il détestait Hitler, mais la guerre encore davantage. Il ne vit d’abord dans la guerre d’Espagne que la guerre : cela cacha l’Espagne. Il défendit longtemps la non-intervention. Sa conscience parlait toujours très haut ; elle ne parlait pas toujours juste. » (p. 169).

« Après la libération, on ne pouvait raisonnablement penser à ressusciter Vendredi : nos chemins divergeaient. Chamson et Guéhenno revêtirent l’habit vert et si je souris à me rappeler les académiciens de Jean Effel immortalisés par Vendredi, je pense, ma foi, de leur élection ce que Zola disait de ses vaines et successives candidatures ! Puisqu’il y avait une Académie française, ils devaient en être… » (pp. 215-216).

  • André Wurmser, Fidèlement vôtre, soixante ans de vie politique et littéraire, Grasset, 1979.

Par contre, dans l’article qu’il publia dans l’Humanité, lors du décès de Jean Guéhenno, il dressa un portrait empathique de l’homme et de l’écrivain :

« Égaré vers la plus glorieuse destinée : si je ne m’abuse, il est le seul candidat à l’École normale supérieure reçu avec la note 20 en français et le seul Immortel élu par acclamations… […] Ses derniers livres sont d’une autre inspiration : mi-désabusés, mi-détachés de la terre pour mieux célébrer dans les nuées, sa confiance en l’homme… […] Guéhenno était le dernier socialiste utopique, le dernier du moins dont la sincérité ne peut être mise en doute. » 

  • André Wurmser, « Jean Guéhenno n’est plus, le socialisme utopique perd le meilleur des siens », L’Humanité, 25 septembre 1978.